Chapitre 13 - Matthew

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Le réveil sonne à 5h30, et pour une fois, je ne retarde pas la sonnerie. Il y a quelque chose de motivant à l'idée de rompre avec ma routine, de prouver que, même à trente-quatre ans, je peux encore secouer ma routine et sortir de ma zone de confort.

En passant devant le miroir de la salle de bain, je remarque des détails que je n'avais pas vraiment pris en compte avant : une légère tension dans mes traits, quelques signes de fatigue autour des yeux. Rien d'alarmant, mais suffisant pour me rappeler que mon corps ne récupère plus aussi vite qu'il y a dix ans. Je soupire, enfile mon jogging, lace mes vieilles baskets, et sors dans l'air frais du matin.

L'air frais de Camden me saisit immédiatement. Le silence matinal est presque palpable, juste brisé par le bruit de mes pas sur le pavé et le léger crissement de mes baskets usées. Je commence à courir lentement. Très lentement. Chaque foulée est une lutte pour réveiller mes muscles endormis, et mon souffle se fait plus lourd dès le premier kilomètre. Ce n'est pas tant la douleur qui me gêne, mais plutôt cette prise de conscience : je ne suis pas aussi en forme que je le pensais.

Alors que je longe le sentier côtier, je m'oblige à continuer. Les vagues qui s'écrasent contre les rochers, le ciel teinté d'orange par les premières lueurs de l'aube... Tout cela m'offre un semblant de distraction. Mais la vérité, c'est que je suis déjà à bout de souffle, et j'ai à peine commencé.

C'est à ce moment-là que je l'aperçois, Romain, arrivant dans ma direction.

Il court vers moi, torse nu, son débardeur coincé à l'arrière de son short de sport, des AirPods aux oreilles et une casquette vissée sur sa tête. Ses mouvements sont fluides, réguliers, comme s'il ne faisait qu'un avec le sentier. Même de loin, je peux voir qu'il est dans son élément, concentré et totalement à l'aise. Et cela m'agace.

Pourquoi doit-il toujours avoir l'air parfait ? Parfaitement détendu, parfaitement en forme, parfaitement... insupportable. Moi, je ressemble à un débutant en plein supplice, et lui court comme si c'était la chose la plus facile du monde.

Romain me remarque alors, et un sourire éclatant illumine son visage. Il ralentit, retire un écouteur et s'arrête à quelques mètres de moi, l'air à peine essoufflé.

— Matthew ? dit-il, visiblement surpris mais ravi. Quelle surprise ! Vous courez ?

Je m'arrête, posant mes mains sur mes hanches pour reprendre mon souffle, et fais de mon mieux pour ne pas montrer mon agacement.

— On dirait bien, oui.

Il rit, retirant sa casquette et passant une main dans ses cheveux légèrement humides.

— Alors, vous avez décidé de rejoindre le club des coureurs matinaux ?

Je hausse les épaules, tentant de paraître indifférent malgré mon souffle court.

— On peut dire ça. À mon âge, il était temps d'essayer quelque chose de nouveau.

Son sourire s'élargit, et il me regarde avec un mélange d'amusement et de curiosité.

— Quel âge avez-vous, si ce n'est pas indiscret ?

— Trente-quatre, dis-je en croisant les bras. Et vous ?

— Vingt-neuf, répond-il avec un éclat dans les yeux. Vous voyez, on n'est pas si éloignés. Mais laissez-moi deviner : vous pensez que je cours comme ça parce que je suis plus jeune ?

Je ne réponds pas, mais il sourit, visiblement ravi de ma réaction.

Nous reprenons une marche légère, longeant le sentier. Romain glisse ses écouteurs dans sa poche, ajustant son rythme pour marcher à mes côtés. Il me raconte comment il a découvert le sport à Toulouse, d'abord comme un loisir, puis comme une discipline grâce au rugby. Sa voix est légère, mais son ton est sérieux lorsqu'il parle de l'effort, du dépassement de soi.

— Le rugby, ça vous apprend deux choses, dit-il. La discipline et l'humilité. Parce que peu importe à quel point vous êtes bon, il y aura toujours quelqu'un pour vous plaquer au sol.

— Et ça vous manque ? Demandé-je.

Il réfléchit un instant, son regard perdu dans les vagues.

— Pas vraiment. J'ai aimé ce que ça m'a appris, mais c'était... intense. Trop intense. Courir ici, seul, c'est plus apaisant.

Je hoche la tête, comprenant ce qu'il veut dire. Il ne s'agit pas seulement de sport, mais d'un moment pour soi, loin de tout.

— Et vous ? demande-t-il, changeant de sujet. Vous avez fait du sport avant ?

— Rien de sérieux. Quelques tentatives pour courir dans ma vingtaine, mais ça n'a jamais duré. J'étais plus un sprinteur qu'un marathonien.

— Eh bien, il n'est jamais trop tard pour bien faire, dit-il avec un sourire. Et je suis sûr que vos pointes de vitesse vont me surprendre.

Je plisse les yeux, légèrement piqué.

— Vous croyez ?

— Absolument, répond-il avec assurance. Puis, soudain, il s'arrête et pointe un rocher au loin. On fait un pari ?

Je lève un sourcil, méfiant.

— Quel genre de pari ?

— Une course jusqu'à ce rocher, dit-il en désignant la pointe. Celui qui gagne peut demander ce qu'il veut à l'autre.

Je croise les bras.

— Et si vous gagniez ?

Son sourire devient malicieux, mais il garde un ton léger.

— Si je gagne, vous acceptez de venir boire une bière avec moi. Rien de formel, juste un moment de détente. Je ne connais personne dans cette ville, à part l'intégralité de la gent féminine.

— Et si je gagne ? Demandé-je.

— Alors vous pourrez me demander ce que vous voulez.

Je fais mine de réfléchir, bien que je sache déjà que je vais accepter.

— Très bien, Romain. Mais ne soyez pas trop confiant.

Il rit à nouveau, reculant pour se mettre en position.

— Trois, deux, un... Partez !

Je démarre aussi vite que possible, mais il ne faut pas longtemps pour que la réalité s'impose. Romain est une machine. Sa foulée est régulière, son souffle parfaitement maîtrisé, tandis que moi, je lutte pour garder un rythme correct. Lorsqu'il atteint le rocher, il se retourne pour m'attendre, appuyé contre la pierre, son sourire toujours aussi éclatant.

— Pas mal pour un débutant, dit-il, légèrement essoufflé mais toujours calme.

Je m'arrête, les mains sur les genoux, tentant de reprendre mon souffle.

— Vous... êtes insupportable.

Il rit, enfilant son débardeur.

— Merci. Alors, j'ai gagné. Une bière, c'est ça ?

Je me redresse, hochant la tête.

— Très bien. Une bière.

Son sourire devient sincère, perdant sa malice habituelle.

— Parfait. Parfait vous verrez ce sera amusant.

Alors que nous reprenons le chemin du retour, je ne peux m'empêcher de sourire. Malgré ma défaite, il y a quelque chose de rafraîchissant dans cette interaction. Une légèreté que je n'ai pas ressentie depuis longtemps. Et, étonnamment, je suis presque impatient de boire cette bière avec lui.

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