Rien à perdre

La place vide.

Le matin se lève lentement, avec une lumière pâle qui traverse les rideaux de ma chambre. Je reste immobile dans mon lit, les yeux fixés sur le plafond. La nuit dernière me semble floue, irréelle, comme un mauvais rêve qui persiste. La forêt, la froideur de l'air, et ce garçon...

Son visage me revient en tête, ses mots résonnant encore, même si je ne veux pas y penser. Pourquoi est-il intervenu ? Pourquoi n'a-t-il pas simplement continué son chemin ?

Je soupire et finis par me lever. Une nouvelle journée de cours m'attend. Je sais déjà ce qui va se passer : des chuchotements, des regards, des moqueries lancées à mi-voix pour que je sois la seule à les entendre.

Dans le bus, je fixe les paysages gris et monotones qui défilent. Les rires d'un groupe d'élèves derrière moi me rappellent à quel point je suis seule. À chaque arrêt, je compte les secondes jusqu'à l'arrivée au lycée.

Une fois devant l'établissement, je prends une grande inspiration. Les couloirs sont déjà pleins, animés par le bruit des conversations et des rires. Je baisse la tête et avance rapidement, espérant me fondre dans le décor.

— Hé, Éliséa, t'as oublié ton sourire à la maison ? ricane une voix familière derrière moi.

Je ne me retourne pas. Ça ne sert à rien de répondre.

Quand j'entre dans ma salle de classe, les discussions cessent momentanément, juste assez longtemps pour que je sente les regards se poser sur moi. Je m'installe à ma place habituelle, au fond près de la fenêtre. C'est le seul endroit où je peux espérer être invisible.

La cloche sonne, et le professeur entre.

— Aujourd'hui, nous accueillons un nouvel élève, annonce-t-il avec son ton neutre. Jian, entre, s'il te plaît.

Je lève les yeux par réflexe, et mon souffle se coupe.

C'est lui.

Il avance calmement dans la salle, jetant un regard rapide autour de lui. Ses yeux s'arrêtent brièvement sur moi, et je sens mon cœur s'accélérer.

— Jian, tu peux t'asseoir... voyons... à côté d'Éliséa.

Les murmures éclatent aussitôt.

— Sérieux ? murmure un garçon derrière moi.

— Le pauvre, il n'a pas de chance, ricane une fille.

Je baisse la tête, souhaitant disparaître. Jian, lui, ne semble pas affecté par les commentaires. Il s'avance et s'assied tranquillement à la place libre à côté de moi.

— Salut, murmure-t-il, juste assez fort pour que je l'entende.

Je ne réponds pas, gardant les yeux fixés sur mon cahier. Mon esprit tourbillonne. Pourquoi est-il ici ? Pourquoi à côté de moi ?

Le cours commence, mais je ne parviens pas à me concentrer. La présence de Jian à mes côtés est trop marquante. Chaque fois qu'il bouge, je le remarque. Chaque fois qu'il prend une note, le léger grattement de son stylo me semble assourdissant.

À la pause, il se tourne vers moi.

— Ça va ?

Sa voix est douce, presque hésitante. Je lève les yeux vers lui, incertaine.

— Oui, dis-je simplement, sans conviction.

Il semble chercher ses mots, mais il finit par hocher la tête sans insister.

— Tant mieux, murmure-t-il avant de détourner le regard.

Le reste de la journée est étrange. Jian ne cherche pas à me parler davantage, mais je sens toujours sa présence, comme une constante qui refuse de disparaître.

Quand les cours se terminent, je marche rapidement vers la sortie, espérant rentrer chez moi avant de croiser qui que ce soit. Mais une fois devant ma maison, une voix m'arrête.

— Bonjour, Éliséa !

Je me retourne et vois Mme Liu, ma voisine, qui arrose les fleurs de son jardin. Elle m'offre un sourire chaleureux, comme elle le fait toujours.

— Bonjour, murmuré-je en lui répondant timidement.

Alors que je m'apprête à entrer, elle lève la tête et appelle quelqu'un.

— Jian, viens m'aider avec ce panier !

Je m'immobilise, les mots résonnant dans l'air. Jian sort de la maison voisine, portant un panier rempli de légumes. Il croise mon regard, mais ne dit rien. Je détourne rapidement les yeux et entre chez moi, le cœur battant.

Cette coïncidence me trouble, mais je n'y réfléchis pas plus longtemps. Peut-être que ça n'a pas d'importance.