Un instant suspendu

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Le week-end est là, mais pour moi, ça ne change rien. Les jours se confondent, tous noyés dans une même teinte de gris. Ce samedi, je reste enfermée dans ma chambre, les rideaux tirés pour empêcher la lumière de s'inviter.

Les pensées sombres reviennent. Elles m'avaient laissée tranquille ces derniers jours, mais elles reviennent toujours, comme une marée impossible à contenir. Je les entends murmurer, m'assourdir, jusqu'à ce que je ne puisse plus ignorer leur présence.

Mon regard tombe sur la table de chevet. Une boîte de doliprane traîne là, à moitié vide, témoin silencieux de mes maux passés. À côté, un compas oublié parmi mes affaires scolaires. Mon cœur se serre. Je tends la main, presque sans réfléchir, et les saisis.

Ces objets sont si légers, et pourtant, entre mes doigts, ils semblent porter tout le poids de ma douleur. Je m'assieds sur le bord de mon lit, les fixant en silence, comme s'ils pouvaient m'apporter une réponse.

Finalement, je me lève et ouvre la porte-fenêtre. Le vent froid me frappe aussitôt, mais je ne bronche pas. Je m'installe sur le balcon, les jambes repliées contre moi, les objets toujours dans mes mains. Le silence de la nuit est presque apaisant, mais il ne chasse pas la question qui me hante.

Est-ce que c'est le bon choix ?

Je laisse mon regard errer sur les toits, le cœur lourd. J'aimerais pouvoir dire que je lutte encore, mais à cet instant, la vérité, c'est que je suis fatiguée. Fatiguée de tout.

Un mouvement, au loin, attire mon attention. Une lumière s'allume dans la maison d'à côté. Mon regard, mécanique, se tourne vers cette source. Et c'est là que je le vois.

Jian.

Il est sur le balcon de la maison voisine, un livre dans une main, une tasse dans l'autre. Il semble si calme, si détendu, que ça en est presque irréel. J'ai l'impression d'assister à une scène tirée d'un autre monde, bien loin du mien.

Il lève soudain la tête, comme s'il sentait mon regard sur lui, et nos yeux se croisent. Mon cœur se fige. Il ne sourit pas, mais il ne détourne pas les yeux non plus.

— Toi aussi, tu cherches un peu d'air ? dit-il doucement, sa voix flottant dans l'obscurité.

Je cligne des yeux, surprise. Sa voix est calme, posée. Ça me déstabilise.

— Je... Oui, je murmure, même si ce n'est pas vrai.

Il pose son livre et sa tasse sur une petite table à côté de lui. Puis il s'appuie contre la rambarde, son regard toujours fixé sur moi.

— Tu te sens mieux ? demande-t-il, sa voix pleine de douceur, mais ses mots lourds de sens.

Mon souffle se coupe. Comment peut-il savoir ? Je baisse les yeux, cachant les objets que je tiens dans mes mains.

— Pourquoi tu me demandes ça ? Je ne peux m'empêcher de répondre, un peu sur la défensive.

— Juste une intuition, dit-il simplement. Parfois, on n'a pas besoin de mots pour comprendre ce que quelqu'un traverse.

Je reste silencieuse, mes doigts crispés autour du compas et de la boîte. Il continue de me regarder, sans insister, sans pression.

— Si tu veux en parler, je suis là. Et si tu ne veux pas, c'est bien aussi, ajoute-t-il.

Ses paroles me désarçonnent. Pas de conseil, pas de jugement. Juste une offre. Une présence.

Je relève les yeux vers lui. Il est toujours là, calme et immobile. Sa tranquillité contraste tellement avec le chaos qui règne en moi.

— Pourquoi tu fais ça ? je demande, la voix tremblante.

— Pourquoi pas ? Parfois, être là, c'est tout ce qu'il faut, répond-il avec un léger sourire.

Le vent froid souffle à nouveau, mais il n'efface pas l'étrange chaleur de ses mots. Pendant un instant, nous restons là, sur nos balcons, séparés par quelques mètres, mais liés par un fil invisible.

Mes doigts se desserrent autour des objets. Le compas tombe sur mes genoux, la boîte reste posée sur ma paume ouverte. Je ne sais pas quoi faire de tout ça. De lui. De cette soirée.

Mais pour la première fois depuis des jours, peut-être des semaines, je respire un peu plus facilement.

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