Un dimanche de trop

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10:53

Ce dimanche ressemble à tous les autres. La maison est silencieuse, l'air froid de l'hiver s'infiltre par la fenêtre entrouverte. Je suis en manches courtes, comme si la chaleur pouvait m'atteindre, mais je m'en fiche. Il y a bien des choses plus importantes, et la chaleur, ce n'est même pas une de ces choses. Je me traîne dans la maison, sans but, sans envie. Je n'ai pas envie de sortir, de parler, de faire quoi que ce soit.

Je suis épuisée de tout, de mes pensées qui me tournent en rond, de cette douleur constante, de cette impression d'être coincée dans une cage sans issue. Mon regard se pose sur mon bras, les cicatrices sont toujours là, visibles. Je n'avais pas fait attention, comme d'habitude. Je les ai oubliées pendant quelques jours, et puis aujourd'hui, elles me reviennent en plein visage, comme un rappel. Un mauvais souvenir. Un geste de plus que je regrette, mais qui était tellement facile à faire sur le moment. Une évasion temporaire de tout ce qui me pèse.

Je me glisse dans la cuisine, comme si cela allait changer quelque chose, mais rien n'y fait. Je vois mes parents rentrer, leur conversation bruyante et joyeuse contraste avec l'atmosphère pesante que je traîne. Quand ils me voient, quelque chose change dans leurs yeux. Il y a cette ombre de doute, d'incompréhension. Je sais que ça n'a pas échappé à ma mère.

Elle s'arrête dans l'entrée, le regard fixé sur mes bras. Mes manches sont trop courtes. Elle a vu. Elle ne dit rien pendant un moment, mais je peux sentir sa respiration se couper.

"Eliséa..." Elle prononce mon prénom comme si elle avait peur de ce qu'elle allait découvrir. Ses yeux se remplissent rapidement de larmes, mais elle garde son calme. Trop calme, trop surveillé. "Tu... tu as fait ça encore ?"

Je reste silencieuse. Je n'ai pas de réponse. De toute façon, que dire ? Ils ne comprendraient pas. Ils n'ont jamais compris.

Mon père entre dans la pièce, et quand il voit ce qu'elle regarde, il se fige. Je vois son visage se durcir, ses yeux se plisser, puis il prend une grande inspiration. Un silence lourd plane.

"Qu'est-ce qui te prend, Eliséa ?!" Sa voix monte, pleine de colère. "Tu es folle ou quoi ? C'est quoi ce délire ? Tu crois que ça va résoudre quoi ? C'est juste une connerie !"

Il avance d'un pas, son regard dur comme l'acier. Je vois la déception dans ses yeux. Il me fixe, un mélange de colère et de confusion.

"Tu as besoin d'aide, mais pas de ce genre-là," dit-il, mais son ton n'est pas rassurant, c'est presque accusateur. "Tu crois que tout va s'arranger comme ça, en t'infligeant encore plus de douleur ?"

Je suis incapable de répondre, les mots me manquent, tout comme l'envie de me défendre. Je veux juste m'échapper de ce moment. De cette scène où mes parents se transforment en juges, où je ne suis plus qu'une erreur à corriger, une « folie » à réparer. Je sens les larmes monter, mais je les retient. Parce que si je commence à pleurer, je ne suis pas sûre de pouvoir m'arrêter.

Ma mère semble vouloir me prendre dans ses bras, mais je me recule, me repliant sur moi-même. C'est comme si tout ce qu'ils voulaient, c'était me dire que j'étais dans le faux, que j'étais mal. C'est ça qui m'écrase : qu'ils ne me voient que comme une victime à réparer, comme un problème. Pas comme moi, pas comme Eliséa.

"Tu dois voir un psychologue," dit mon père, les mots tranchants. "C'est ce que tu dois faire. C'est plus que nécessaire."

Je baisse la tête, encore une fois, incapable de répondre. Qu'est-ce que ça va changer, de toute façon ? Est-ce que parler à un inconnu me fera du bien ? Me sortira de ce gouffre où je me trouve ? Je n'y crois pas. Mais je sais que je n'ai pas le choix. Ils ne vont pas lâcher l'affaire, et je vais devoir les laisser me guider, même si je suis convaincue qu'ils n'ont aucune idée de ce que je ressens.

J'ai envie de leur dire que c'est pas comme ça que ça marche, que ce n'est pas avec des « solutions » toutes faites qu'ils vont m'aider. Mais je n'ai pas la force. Et puis, qu'est-ce que je pourrais dire ?

Je monte lentement les escaliers, comme si chaque marche me pesait plus lourd que la précédente. Je sais qu'ils sont derrière moi, mais je ne peux pas les affronter davantage. Ils ne comprennent pas, ils ne peuvent pas comprendre. Tout ça, ça ne fait que me pousser plus loin dans ma spirale. La porte de ma chambre se ferme dans un bruit sourd, et je m'y réfugie. Je verrouille la porte, pour être seule, pour ne plus avoir à leur faire face. Pour être enfin en paix, loin de leurs jugements, loin de leurs mots qui me percutent comme des vagues.

Je m'assois sur le lit, en silence. Le bruit dans mes oreilles est plus fort que tout, le bourdonnement incessant des pensées noires qui défilent à toute vitesse. Elles se bousculent, se mélangent, se déforment en images qui me donnent la nausée. Je sens un vide énorme dans ma poitrine, un vide qui m'écrase. Je n'arrive plus à respirer correctement, mes pensées sont trop lourdes pour mon esprit.

Les mots de mon père résonnent encore dans ma tête, comme un écho cruel : "Tu es folle." C'est comme si un couperet venait de tomber. Une autre part de moi qui se brise, une autre fausse solution qu'ils m'ont imposée. Ils ne comprennent pas la douleur qui me dévore, la tristesse qui ne part jamais. Tout ça, ce vide, c'est devenu une seconde peau, quelque chose d'invisible mais qui me colle à l'âme.

Je me lève d'un coup, comme un automatisme. Je me dirige vers mon bureau, où je trouve l'objet que je cherche. Mes mains tremblent un peu, mais je les force à être calmes. C'est comme si tout le reste autour de moi disparaissait. Les pensées sombres que je combats, les gestes qui me poussent toujours plus loin... Je les laisse faire. Tout ce qui me reste, c'est ça : l'écrite, la douleur qui s'exprime, le soulagement qui me semble si lointain.

Je m'assois par terre, les jambes repliées contre moi. Je ferme les yeux, et sans vraiment réfléchir, je commence à écrire. Les mots viennent vite, précipités, comme un flot incontrôlable. Des mots qui ne veulent rien dire, mais qui sont tout pour moi. C'est tout ce que j'ai. Des mots sur un papier, pour essayer de vider ce trop-plein, pour essayer de ne pas imploser.

Je suis seule ici, dans cette pièce, avec ces pensées. Personne ne peut me sauver. Personne ne peut m'entendre. Les larmes commencent à couler, chaudes et salées, et je n'ai même plus la force de les retenir. C'est peut-être la seule chose que je ressens encore, cette douleur vive dans mes yeux. Une douleur qui ne cesse jamais. Qui ne part jamais.

Puis, un élan de folie, un dernier réflexe. Je me relève en hâte, mes mains tremblent encore plus fort, mais il y a cette chose que je ne peux pas ignorer. C'est cette pensée qui surgit dans ma tête, sans crier gare. "Est-ce que ce serait mieux, enfin, si tout s'arrêtait ?" Une question qui m'obsède, mais qui me fait aussi peur.

Je prends l'objet, j'hésite, je le serre dans mes mains, et je regarde autour de moi. Cette pièce, ma chambre, est tout ce qui me reste, mais en même temps, elle n'est rien. Rien qui puisse m'aider, rien qui puisse me sauver. Rien qui puisse me donner une réponse.

Je ferme les yeux un instant, le cœur battant à toute allure, comme si c'était la fin du monde.


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