Petite Lalie

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Cléa essuya calmement sa lèvre qui saignait. En plus de sa coupure sur la joue, qui commençait à peine à cicatriser, voilà qu'elle avait maintenant la lèvre ouverte.

Le week-end avait été une bénédiction, un trop court moment de répit dans sa vie devenue bien trop douloureuse. Pourquoi n'y avait-il pas un jour entre samedi et dimanche ?

Elle retint un gémissement quand elle appliqua à nouveau la compresse sur sa blessure. Ils ne lui avaient pas laissé beaucoup de temps après le week-end malheureusement. On était lundi et déjà elle pansait à nouveau ses blessures. Cela devenait infernal.

Un bruit à sa fenêtre attira son attention, un petit chat grattait doucement, demandant à entrer. Elle sourit tendrement et se leva pour ouvrir. La petite boule de poil miaula et alla se réfugier dans les jambes de la jeune fille.

-Hey salut toi, s'amusa Cléa.

Elle ramena ses boucles brunes dans son dos et se baissa pour caresser le petit chat qui ronronnait de plaisir.

-Tu viens vérifier si tout va bien ? continua la jeune fille.

Le chaton noir miaula à nouveau, comme pour approuver ses dires. La jeune fille lâcha un léger rire puis grimaça quand sa lèvre lui refit mal.

-On va dire que j'ai déjà vu mieux, soupira-t-elle.

Puis elle prit le chaton, se dirigea sur son lit, et s'y assit en posant l'animal sur ses jambes.

-Thomas n'était pas là, comme toujours. Mais je sais qu'il est derrière tout ça. Il m'en veut toujours, dit-elle, comme si la boule de poils pouvait la comprendre.

La main de la jeune fille caressait son pelage, distraitement. Elle joua un instant avec ses petites oreilles, il ronronna de plaisir.

-Il faudrait que je cherche à nouveau si ce n'est pas possible que je rentre chez moi par un autre chemin, même si c'est beaucoup plus long. Ils m'attendent maintenant, toujours devant cette ruelle. J'ai l'impression que cette année va être pire que la précédente, ils sont plus réguliers dans leurs attaques.

Elle avait dit cela calmement, comme si elle racontait une journée banale. Peut-être que tout cela était devenu banal pour elle.

-Il faudrait que je te donne un nom. Tu es une femelle n'est-ce pas ? demanda Cléa au petit chat.

Celui-ci miaula, et frotta sa tête contre sa jambe.

-Lalie, c'est simple et joli je trouve.

Cléa observa un instant les yeux sombres de l'animal.

-Oui, tu seras Lalie.

*

La jeune fille serra ses affaires contre elle, la peur au ventre. Elle l'avait croisé. Lui, ses yeux noisette et ses cheveux longs.

Elle aimait tellement ses yeux avant, si clairs et pleins de vie. Mais quand elle avait croisé son regard il était maintenant sombre, empli de colère. Thomas lui en voulait toujours autant, si ce n'était plus.

Mais pourrait-il lui pardonner un jour ?

Elle se souvient encore de sa douleur, de sa haine et de ses larmes. C'était la seule fois où elle l'avait vu pleurer durant toutes ses années d'amitié. Ce jour-là était aussi le dernier où il lui avait adressé la parole.

Cléa espérait toujours qu'il la pardonne un jour, où au moins qu'il la laisse tranquille. Elle voulait retrouver une vie normale, une vie où la peur ne guiderait pas chacun de ses gestes.

-Oublies-moi, chuchota-t-elle pour elle-même en passant le petit portillon menant à son endroit favori.

Le parc au cerisier.

Cela faisait deux fois en quelques jours qu'elle éprouvait le besoin de s'y rendre. Elle pensa un instant au jeune homme qui l'avait rejoint le vendredi d'avant.

Léo.

Il avait été gentil avec elle, même s'il n'était pas resté longtemps au final. Peut-être avait-elle été trop sèche, peut-être ne l'avait-il pas appréciée. Enfin peu importait, c'était sûrement mieux pour lui qu'il reste éloigné d'elle.

Comme toujours elle prit place sur ce petit banc, abîmé par le temps, et apprécia la façon dont les branches s'étendaient autour d'elle comme un cocon.

Puis elle sortit son nécessaire à dessin et fit courir son crayon sur la feuille.

Elle avait passé son week-end à étudier, il fallait absolument qu'elle réussisse cette année pour s'échapper de cet enfer. Autrement, elle ne savait pas comment elle allait supporter les brimades violentes des élèves un an de plus.

Elle avait pensé à en parler.

Il y avait bien des profs qui pourrait la défendre, ou des adultes spécialisés dans ce genre de cas. Mais elle avait peur que tout ne soit que plus compliqué si un prof prenait sa défense au milieu d'un couloir. Elle n'osait imaginer la réaction des élèves quand elle rentrerait seule chez elle. Son enfer ne serait que plus douloureux.

Non, ce n'était pas un bonne idée, puis ça serait avouer sa faiblesse. Et elle n'était définitivement pas faible. Il ne restait plus qu'une année à tenir, elle pouvait bien le faire non ?

Perdue dans ses pensées, elle ressassait tout ce qu'il c'était passé l'année d'avant.

Tout avait si bien commencé.

Thomas était en Terminale, paré pour avoir son bac. Cléa, en retard, faisait des efforts en Première, se battant pour avoir les meilleures notes possibles. En janvier, la jeune fille eût 18 ans.

C'est en février que tout est parti en vrille.

L'accident de ses parents, brutal et mortel.

Un camion avait violemment percuté leur voiture, broyant la carrosserie, et tuant ses parents sur le coup. Apparemment il ne l'avait pas vu arriver sur la gauche au croisement, et n'avait pas freiné malgré le stop clairement annoncé.

Mais Cléa ne cherchait pas de coupables, cela ne lui rendrait pas ses parents.

Elle s'était renfermée sur elle-même à cette période. Passant ses jours et ses nuits à étudier pour oublier. Cela lui avait permis de passer son année assez facilement au final.

Sous ses yeux la mine de son crayon se cassa brutalement, la sortant immédiatement de ses pensées.

-Cléa ? entendit-elle.

Elle releva la tête, légèrement perdue. Léo était là, mais depuis combien de temps ?

-Je t'ai appelée et tu ne répondais pas, tu vas bien ? demanda-t-il.

-Tu es revenu ? dit-elle, sans répondre à sa question.

Il hocha la tête, étonné de sa question.

-Bien sûr, tu es la seule que je connaisse ici, et puis je t'aime bien, ajouta-t-il.

-T'es bien le seul.



Sous le cerisier [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant