Fausse joie

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Cléa avait peur.

Si peur qu'elle n'en dormait même plus la nuit. Ou alors c'était seulement pour voir danser derrière ses paupières des images insoutenables.

Elle était persuadée qu'elle pouvait se battre contre Thomas, contre la douleur et la haine qu'on avait pour elle. Elle pouvait ignorer les regards, les insultes, les coups. Mais que pouvait-elle faire si on s'en prenait à Léo ?

C'était cette peur, sourde, dévastatrice, qui avait lentement pris place dans son esprit, tellement de place qu'elle n'arrivait pas à penser à autre chose. Elle voyait le visage de Léo, déformé par la douleur, qu'on lui aurait infligé d'une façon ou d'une autre, et elle se réveillait quand le cri onirique du jeune homme se mêlait au sien, bien réel.

Elle lui avait dit de partir, il avait refusé, elle n'était donc pas responsable non ? Pourtant la culpabilité la rongeait presque autant que la peur. Si, elle était responsable.

Et elle allait regretter, elle le sentait.

Sa main se posa sur son abdomen, ses côtes ne la faisaient presque plus souffrir maintenant, c'était une bonne chose. Puis finalement, voyant qu'à nouveau le sommeil ne venait pas, elle se leva.

Ses pieds la menèrent directement à la fenêtre, où une légère brise nocturne rafraîchissait la pièce. Elle s'installa devant, poussa les volets, et observa la ville, de nuit.

C'était calme et apaisant.

Avant elle sortait souvent la nuit, pour profiter du vent frais dans ses cheveux, du calme de la nuit. Mais maintenant elle aurait trop peur de tomber sur quelqu'un qui lui ferait du mal. Alors elle prit son papier et ses crayons, et observa la rue, puis la mine de carbone glissait silencieusement sur le papier, y laissant une trace qui deviendrait son dessin.

Elle aimait ce silence, ce calme. C'était rassurant, d'une certaine façon.

Son crayon bougeait au rythme de ses doigts, créant peu à peu une forme humaine qui se transforma rapidement en jeune fille. Cette fois-ci elle ne s'était pas dessinée, la fille du dessin était plus petite et avait les cheveux plus courts que Cléa. Puis la jeune fille lui ajouta un sourire.

Elle avait souvent imaginé ce que serait sa vie si elle n'était jamais allée voir Thomas ce jour-là, le jour où il avait emménagé à côté de chez elle. Peut-être que rien de tout cela ne serait arrivé. Peut-être qu'elle ne lui aurait même jamais parlé au collège, et jamais rencontré sa sœur. Il serait resté un voisin parmi tant d'autre.

Peut-être, peut-être.

Elle posa sa main sur la feuille de papier et l'écrasa, le visage souriant de la fille se froissa sous ses doigts. Tout aurait pu se passer si différemment, si elle avait mieux réagi au décès de ses parents, si elle avait écouté Thomas. Mais comme à chaque fois qu'elle tentait de savoir à quel moment tout avait basculé, elle se disait aussi qu'elle ne pourrait de toute façon rien changer, c'était comme cela et il fallait maintenant qu'elle fasse avec.

Elle froissa la feuille dans ses mains, la réduisant à une vulgaire boule de papier et la jeta adroitement dans la seule poubelle de son appartement. Ce n'était pas le moment pour s'apitoyer sur son sort, il fallait qu'elle soit forte, et s'il le fallait, elle ferait en sorte que Léo s'éloigne d'elle. Même s'il fallait que l'image qu'il avait d'elle en pâtisse.

La jeune fille attrapa ses cours, alluma sa lampe de chevet et s'installa confortablement dans son lit, prête à étudier tant qu'elle n'aurait pas sommeil.

*

-Ils ne me feront rien, dit Léo.

Cléa releva la tête. Il savait donc ce à quoi elle pensait depuis quelques jours.

Cela faisait une semaine qu'elle avait croisé le regard haineux de Thomas dans le couloir, une semaine qu'elle avait peur pour Léo. Si peur qu'elle ne lui avait rien expliqué sur sa vie finalement. Sans vraiment savoir pourquoi.

Ils avaient seulement eu des discussions simples, banales, et c'était souvent Léo qui parlait.

-Comment peux-tu en être sûr ? demanda-t-elle.

-Je ne peux pas.

Elle pencha la tête, s'il voulait la rassurer ce n'était pas vraiment le meilleur des moyens. Puis elle secoua la tête, et prit une bouchée du sandwich qu'elle avait dans les mains.

-Donc ça ne change rien au fait que je m'inquiète, dit-elle quand elle eût fini.

- Même si tu me le demandais, je ne partirais pas.

-Pourquoi ?

Il sembla réfléchir.

-Je n'ai juste pas envie de te laisser seule.

Il se repositionna sur le banc en bois du lycée où ils avaient pris place pour la pause repas.

-Tu sais quand on s'est vu pour la première fois à ce banc, continua-t-il. J'ai remarqué que tu avais l'air triste et seule, ce qui était le cas. Alors je suis venu, et maintenant que je te connais un peu, et que j'ai réussi à te faire sourire en discutant avec toi, j'ai appris à t'apprécier. Hier j'ai même entendu ton rire Cléa ! C'était la première fois je crois. C'était fantastique. Je n'ai pas envie de revoir ce visage triste. Tout le monde a le droit d'être heureux.

Elle baissa la tête.

-Tu vas me faire rougir idiot !

Il rit, et cachée par ses cheveux, Cléa s'autorisa un léger sourire.

Elle avait quelqu'un à ses côtés maintenant. Cela faisait tellement longtemps.

Mais pour combien de temps ?

*

Ils n'étaient pas là.

Cléa sentit son cœur devenir plus léger. Aujourd'hui, elle rentrerait chez elle sans avoir à soigner de nouvelles blessures. Ses pas ne seraient pas rythmés par la peur au moins pour cette fois-ci.

Elle laissa même un léger sourire étirer ses lèvres.

Ce soir elle n'étudierait pas comme une folle, elle irait au parc, elle dessinerait.

Ses notes étaient largement au-dessus de la moyenne, elle pouvait bien s'autoriser cela. Et puis ce n'était pas bon de ne faire qu'étudier. Il fallait aussi se changer l'esprit de temps en temps.

C'était donc avec le cœur léger qu'elle arriva devant chez elle. Mais quand ses yeux se posèrent sur la porte de son appartement, elle eût l'impression de tomber du haut d'un immeuble.

La réalité l'avait rattrapée plus vite que prévu.

Un simple mot sur sa porte. Ce n'était que cela, et pourtant...

"Éloignes-toi de lui, ou je briserai sa vie comme je le ferai avec la tienne. "

Pas besoin de signature, Cléa savait exactement de qui cela venait.

Thomas.


Sous le cerisier [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant