Sous le cerisier [en pause]

Demande étrange

Il était 17h23.

Elle était restée là, frigorifiée, mais comme son besoin de mettre sur papier ce qu'elle ressentait n'était pas fini, elle n'était pas rentrée. Sous ses yeux se tenait sa dixième feuille, celle qui allait bientôt rejoindre les autres, recouverte de graphite.

Il faudra qu'elle en achète, mais ce n'était pas important pour le moment.

Finalement Léo n'avait pas du tout pointé le bout de son nez, même après les cours. Elle s'était rendue compte qu'elle n'avait jamais voulu l'éviter, et qu'elle était venue là pour avoir une chance de le croiser sans que Thomas ne soit là. Le cerisier leur appartenait encore.

Elle refit courir son crayon sur sa feuille. Accentuant encore les noirs de son dessin, retraçant certains traits. La jeune fille du dessin semblait encore plus brisée, comme si cela était encore possible, comme si elle avait atteint un point de non-retour.

Elle reprit une feuille et refit le même dessin, plusieurs fois. Comme si à travers son crayon elle hurlait son désespoir, son envie de tout foutre en l'air, de crier qu'elle ne mérite pas cela. Qu'elle aussi avait le droit d'avoir quelqu'un à ses côtés, et que Thomas n'avait pas le droit de l'en empêcher.

Mais si c'était Léo qui s'en allait de lui-même ?

Son cœur se serra douloureusement, et elle laissa échapper un sanglot.

Son crayon arrêta sa course folle.

Puis il commença à pleuvoir doucement, ses larmes se mêlèrent aux gouttes d'eau qui tombaient du ciel. Alors elle rangea toutes ses affaires, machinalement, et se dirigea vers la sortie du parc, le petit portillon lui tendait les bras. De lourdes gouttes tombaient sur elle maintenant, mouillant ses cheveux et transformant le petit chemin de terre en boue très rapidement.

Elle releva un instant la tête, de sombres nuages s'amoncelaient au-dessus de la ville, bientôt l'orage grondera, et il faudrait qu'elle soit chez elle avant que cela commence.

Mais alors qu'elle tourna au coin de la rue, elle entra presque en collision avec un passant qui allait dans l'autre sens.

Machinalement elle s'excusa, et se décala pour reprendre son chemin. Mais une voix l'arrêta.

-Et bien Cléa, tu vas tomber malade si tu te balade ainsi sous la pluie.

Elle releva la tête, surprise, et croisa les yeux bleus de Léo.

-Tu n'étais pas là aujourd'hui, j'espérais te trouver au cerisier, je suis arrivé à temps.

Il sourit tendrement, et elle se demanda comment elle avait pu penser à s'éloigner de lui.

*

Ils étaient chez elle.

C'était nouveau pour elle, enfin elle avait cette impression. Depuis combien de temps n'avait-elle pas invité quelqu'un? La dernière fois c'était encore dans la maison de ses parents.

Elle attrapa une serviette et la jeta sur la tête de Léo qui rit doucement. Ses cheveux dégoulinaient, et son regard bleu semblait encore plus profond, comme si cela était encore possible.

Cléa se sécha elle aussi, les cheveux ainsi que le visage.

Le tonnerre gronda dehors, l'orage se rapprochait. La pluie tapait contre la seule fenêtre de la pièce.

La jeune fille observa un instant le ciel derrière la vitre, puis reporta son regard sur le jeune homme qui l'observait les cheveux en bataille.