Cléa marqua une longue pause, laissant à Léo le temps d'assimiler ce qu'elle venait de dire. Il était resté tellement silencieux pendant toute sa tirade qu'elle pensait qu'il n'allait rien dire avant qu'elle ait fini. Mais étonnamment il releva la tête et lui parla.
-Thomas était très proche de sa sœur ?
Cléa hocha la tête.
-Oui, et ça le tuait à petit feu de la voir si mal. Il ne voulait pas la brusquer en lui demandant de but en blanc ce qui n'allait pas. Et quand finalement je lui ai annoncé qu'elle m'avait expliqué, il m'a supplié de le lui dire.
-Mais tu ne l'as pas fait.
Ce n'était pas une question, mais une affirmation, comme si cela était tout à fait logique pour Léo.
-Exactement, je lui ai expliqué que c'était à Natacha de le lui dire si elle le voulait. J'avais quatorze ans, et j'estimais que si elle ne lui avait pas encore dis, c'était qu'elle ne voulait peut-être pas qu'il le sache. Quand j'ai posé la question après à Natacha, elle m'a dit qu'elle lui en parlerait quand elle serait prête, et qu'il ne fallait pas que je le dise. Alors je l'ai écouté. Je n'aurais peut-être pas dû.
Cléa inspira profondément, comme si la culpabilité qu'elle éprouvait pouvait passer dans son souffle, se disperser dans l'air et disparaître. Mais ce n'était pas comme ça que cela marchait.
-Les mois ont passés, et la rancœur de Thomas était lentement oubliée au fur et à mesure que Natacha redevenait la petite fille qu'elle était censée être. Heureuse de vivre. Je crois que même à ce moment-là, il ne savait pas ce qu'il se passait dans la vie de sa sœur. La solution avait été de partager sa souffrance. Elle m'appelait quand ça n'allait pas, me remerciait le lendemain quand son sourire était revenu, même si je n'avais rien fait d'autre que l'écouter. Mais je me rends compte que c'est quelque chose d'inestimable d'avoir quelqu'un qui écoute ce que tu as à dire. On se rend compte que beaucoup de choses sont importantes quand on les perd. Je ne comprenais pas cela avant.
La cloche sonna, et Cléa jeta un coup d'œil à Léo, mais il ne semblait pas vouloir bouger. Son regard bleu était planté dans celui de la jeune fille, et elle comprit qu'il n'irait pas en cours avant d'avoir tout entendu.
Cléa sourit doucement, d'un sourire empli de nostalgie.
-Tu sais, elle me manque tellement. Elle était la petite sœur que je n'ai jamais eue, celle que je devais protéger. C'est rassurant de savoir que je comptais vraiment pour quelqu'un. Au fil des mois elle a appris de nouveau à vivre normalement. Et quand elle est arrivée en troisième sa mère a même décidé d'arrêter les séances chez le psychologue. Quand elle a appris ça, Natacha était folle de joie.
-Elle allait vraiment mieux à ce moment-là ?
-Oui, elle allait tellement mieux qu'elle répondait aux insultes qu'ils avaient pris l'habitude de lui lancer. Les gens ne l'évitaient plus, même s'ils le lui parlaient pas encore normalement, c'était déjà beaucoup pour elle.
La cour se vidait peu à peu, laissant Cléa et Léo seuls, assis sur ce banc froid.
-Qu'est-ce qui a tout fait basculer ?
-La mort de mes parents.
Cléa déglutit, puis inspira profondément. Elle avait besoin de courage.
-C'était durant mon année de Première. J'avais redoublé ma Seconde et Thomas était donc en Terminale. Natacha, elle, était en Troisième.
Elle prenait le temps de remettre le contexte, autant pour ne pas avoir répondre à de possibles questions, que pour se donner encore un peu de temps avant de commencer la partie la plus difficile.
-Ça m'est tombé dessus comme une météorite. Un boulet de canon, un tsunami, tout ce que tu veux. Et quand la douleur m'a foudroyée j'ai fait ce que je fais toujours quand j'ai mal. Je me recroqueville sur moi-même. Je me coupe du monde extérieur, et j'essaie de tout gérer seule. Pourtant je savais. Je savais que ce n'était pas du tout ce qu'il fallait faire, je l'avais bien vu avec Natacha. Mais mes idées n'étaient plus claires, et j'ai refusé tout contact avec le monde extérieur.
Du coin de l'œil, elle vit le poing de Léo se serrer.
-Je me suis concentrée sur mes études, un moyen de m'occuper l'esprit pendant qu'on enterrait mes parents, ou du moins ce qu'il en restait, et qu'on vendait la maison dans laquelle j'ai vécu toute ma vie. Il fallait que j'arrête de penser, tout simplement. Parce que quand je pensais trop, j'avais l'impression de me noyer dans un océan de tristesse.
Cléa expira profondément.
-Les parents de Thomas et Natacha m'ont proposé de venir vivre avec eux. C'était presque idéal, des personnes que j'aime qui m'accueillent, des visages connus, quelque chose de stable dans tout ce chaos. Mais j'ai refusé immédiatement. Il était impossible pour moi de vivre avec eux, ils formaient une famille, tout ce que je n'avais plus, et je n'avais pas le courage de me confronter à leur bonheur jour après jour, si près de l'ancienne maison de mes parents. C'était inconcevable pour moi.
La jeune fille jeta un œil à Léo, ses yeux étaient embués, comme s'il se doutait de la suite, comme s'il s'y préparait mentalement. Y'avait-il un moyen de la lui annoncer de façon moins horrible ?
-Les jours ont passés, j'étais murée dans ma tristesse et mon désespoir. Coupée du monde extérieur, j'ai été étonnée quand l'été est revenu, apportant la fin de l'année scolaire et les premières épreuves de bac. C'était un jour ensoleillé, je m'en souviens avec tellement de détails. Je n'avais pas parlé à Thomas depuis des semaines, je l'évitais dans les couloirs, pensant qu'il voudrait me reparler de la proposition de ses parents. Mais ce jour-là il est arrivé de nulle part, une tornade silencieuse qui allait bouleverser ma vie. Il m'a hurlé dessus, m'accusant de sa mort, les larmes aux yeux. J'étais pétrifiée devant sa colère, ne comprenant pas ce qu'il se passait. Puis il m'a frappée, le premier coup de poing que j'ai reçu dans ma vie. Il y en a eu tellement d'autres après.
Léo inspira, passa une main dans ses cheveux, et reposa son regard bleu sur Cléa.
-Tu n'y es pour rien, souffla-t-il.
Cléa lui sourit doucement.
-Je ne suis plus sûre de rien, et s'il avait raison ?
Léo la dévisagea, mais au moment où il voulut la contredire elle reprit la parole.
-Je n'ai pas su tout de suite la façon dont elle est morte, mais rapidement j'ai compris que c'était un suicide. Je n'ai jamais vraiment su pourquoi. J'aurais tellement aimé en parler avec Thomas, mais il m'évitait comme moi je l'avais fait. Et il était plus doué que moi pour ça. Il faisait comme moi, il se murait derrière un masque, pour ne pas montrer ses faiblesses et son chagrin. Il participait à toutes les fêtes, noyant sa tristesse dans l'alcool. J'ai commencé à faire pareil, il fallait que j'oublie moi aussi.
Puis le silence s'étira. Cléa ne savait plus quoi dire, elle n'avait pas le courage de donner plus de détails. C'était bien trop douloureux.
Elle souffla, sentit son cœur se serrer, et planta son regard dans celui de Léo, attendant sa réaction.
Nouveau chapitre!
Ce chapitre est le dernier que j'ai posté sur Fyctia, le prochain sera donc sûrement plus long!
J'espère que l'histoire vous a plu jusque là! ça va être étrange pour moi de me replonger dans cette fiction après tout ce temps!
Bref, ne vous attendez pas à ce que je poste régulièrement et souvent, DACF reste ma fiction principale, mais je ferais de mon mieux pour les quelques lecteurs qui lisent celle-ci!
Je vous aime! Bisous à chacun d'entre vous!
Alice
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Sous le cerisier [en pause]
General Fiction-Que fais-tu ici? demanda-t-il. Elle leva la tête vers le ciel, caché en partie par les branches de l'arbre. -J'essaie d'oublier. Histoire entièrement créée par moi, merci de ne pas plagier! J'ai mis l'histoire en mature parce qu'il y a quelques scè...