Mark

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Sa femme venait de rentrer, après une journée passée à ... passée. Elle était dans une fureur noire.

"Que faisait cette salope devant chez nous ? J'ose espérer que c'est les serviteurs qui l'ont amené ! Si j'apprends qu'elle est trop chère pour un pourceau de la ville basse, tu vas voir ! Tu ne la reverra jamais. D'ailleurs tu ne la reverra jamais. Je vais dans mon bureau ! Mais laisse moi !"

Et elle se rua dans les escaliers, pour claquer la porte de son bureau, boudoir, ou quel que soit le nom qu'elle donnait à cette pièce. Une fois l'orage passé, Mark se mit à recompter ses colonnes d'argent au calme. Elle était vraiment trop explosive. Vraiment trop excessive en toute circonstance d'ailleurs. Enfin elle ne ferait rien. Anastasia était peut être très désagréable, mais elle privilégierait l'honneur de sa maison. Enfin l'espérait-il.

Il l'avait connu vingt ans plus tôt, et avait consenti à l'épouser. Dahlia, personne, avait raison. Elle avait eu besoin de son argent et lui de sa noblesse. Maintenant chacun avait ce qu'il voulait. Il avait même des prostituées s'il le voulait. Refoulant cette pensée pour le moins scabreuse, Mark décida qu'il était l'heure de dormir. Le lendemain serait un autre jour.

Passant par le couloir menant à la chambre parentale, il toqua à la porte du boudoir. Sa femme lui sauta au cou.

"Oh mon amour ! Je suis désolée de m'être emportée comme ça, à cause d'une vulgaire putain à peine bonne pour notre palefrenier ! Je ne le ferai plus, je te le promets. Allons dormir.

Et ils allèrent.

Dahlia était étendue dans une mare de sang, et il l'a regardait d'un air béat. Elle nageait dans cet étang écarlate, et l'aperçut. Elle agita sa main blanche, et plongea dans le lac pour qu'il la rejoigne. Il tenta de lever la main pour lui faire signe, mais elles étaient attachées sur son fauteuil. Deux lignes écarlates et verticales couraient le long de ses avant bras, alimentant la mer de sang et éloignant toujours de lui la jolie fille blonde. Puis toute la cour se rapprocha d'Anastasia, pour la voir tendre son arc, et toucher à des miles l'îlot blanc, pour le faire couler. Puis le colonel tira.

Mark détestait rêver. C'était là la pire de ses hantises. Revoir chaque nuit ce dont il avait si honte le jour lui était très désagréable, mais voir des choses nouvelles le terrifiait. Et jamais il n'avait fait ce rêve. Que voulait-il dire ? Et si Dahlia était en danger ? Non. Dahlia n'existait pas dans son esprit, elle n'avait jamais existé. Pourquoi s'inquiéter de choses inexistantes ? C'était stupide.

Il se leva donc, et fit sa toilette pour s'éclaircir les idées. L'eau était froide, le petit déjeuner frugal. Il n'avait bien sûr pas réveillé Anastasia quand il s'était levé. C'était ainsi, le même rituel chaque matin, depuis des années. Il fit le petit déjeuner pour sa fille, qui se réveillerait bientôt, et prit dans son bureau tous les papiers nécessaires à la réunion de ce matin. Puis il sortit, laissant à Kern le soin de fermer la porte.

La cour blanche dans l'aube était une merveille. Il faisait beau, et une nappe de brume sortie des fontaines et des canaux donnait une atmosphère fantomatique à l'ensemble, transpercé par les rayons obliques du soleil à l'est. Les arbres juste fleuris déployaient leurs branchages blancs, et l'air frais et odorant de ce printemps était particulièrement agréable. Le palais au milieu s'élevait comme un monolithe préhistorique, comme si l'alignement avec les tours blanches des points cardinaux était lié au mouvement des étoiles. II émergeait blanc de la nappe de brouillard.

Il monta les marches solitaires, et entra dans le bâtiment du gouvernement. La blancheur était partout, dans le hall circulaire, et seules les grandes baies vitrées et les immenses lettres d'or au plafond "United States of World" enroulées autour d'un globe doré au sommet de la coupole brisaient la monotonie de ce blanc si pur, si froid. Mark aimait cette pièce, plus que la cour blanche. Elle respirait le calme, la lumière, et rappelait les anciens temps qu'il n'avait pas connu, quand on savait encore faire des baies vitrées comme celles là.

SURVIVABLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant