Comme tous les matins, Mark descendit le deuxième escalier à droite de la grande salle du palais pour entrer dans les profondeurs du gouvernement. Arrivé en avance, ainsi qu'il le faisait toujours, il passa les habituels contrôles devant les mêmes gardes armés de très dissuasives et très automatiques mitraillettes. Ce matin il était le premier. La table blanche aux hauts fauteuils raides était vierge de toute présence. Il sortit des poussiéreux dossiers de parchemin sa nanoUSB, qu'il inséra dans la tablette en cours d'allumage devant son siège de délégué aux affaires économiques, du maître financier du gouvernement.
Il avait revu Dahlia tous les jours depuis des semaines, en exceptant les jours où sa présence à la cour était exigée. Les chasses à cour, les déjeuners en grande pompe, les divertissements dans les jardins l'insupportaient depuis qu'il avait ces rendez-vous quotidiens avec Dahlia. Ce n'était pas une prostituée, mais une femme prise dans le piège de la société, et dont elle ne pouvait pas se sortir. Depuis qu'il venait tous les jours, ou presque, elle n'avait plus d'autre client que lui et il s'en portait bien mieux. Oui, il pouvait dire qu'il était clairement jaloux d'elle et de tous les hommes qui traînaient chez Tricia. Il la sortirait de là dès qu'il le pourrait.
Arriva alors un autre membre du gouvernement, lord Callisto, seigneur de la Sicile, et délégué aux affaires judiciaires. C'était, comme on le disait partout, l'un des membres les plus corrompus du gouvernement, achetable par n'importe qui a n'importe quel prix. Il était néanmoins utile au colonel qu'il informait de tout ce que lui confiaient ses autres sources de revenus. Un être méprisable, comme tous les membres du conseil restreint, mais c'était à prévoir. Il demanda, après s'être penché pour présenter son oeil à la tablette :
- Bonjour très cher, comment se porte votre fille ?
Le seigneur Callisto avait un sourire gourmand en enfonçant cette pique dans le coeur du maître financier. Gretel était dans un état toujours épouvantable, malgré quelques améliorations.
- Eh bien, de mieux en mieux, cher collègue, répondit il, mielleux. Ce matin, raconta-t-il, elle s'est levée seule et a pris le petit déjeuner avec moi.
- Mais, s'inquiéta faussement son interlocuteur, a-t-elle recommencé à parler ?
- À dire vrai, oui, elle nous demande de plus en plus de choses, à Anastasia et moi. Et elle a même recommencé à se laisser pousser les cheveux.
Mark nota que le visage de Callisto s'était éclairé quand il avait non pas dit "ma femme" mais "Anastasia". Cela était un signe évident de la santé de leur couple. Santé factice évidemment, puisque Mark et sa femme ne se voyaient plus que pour s'occuper de leur fille. Elle avait pris ses quartiers dans une autre chambre, lui reprochait d'avoir une maîtresse tandis que lui la méprisait de se vautrer quotidiennement dans le lit du colonel. Au cours d'une altercation mémorable, elle lui avait lancé à la figure : "Si je n'étais pas là, tu ne serais rien, rien qu'un petit marchand de la colline sans titre et sans renom ! Si je ne couchais pas avec lui, tu n'existerais même pas !" Ce à quoi il lui avait confirmé qu'il fréquentait une autre femme, et que sans elle Anastasia resterait cloîtrée dans leur maison pour éviter de forniquer avec toute la cour. Le niveau sonore était monté jusqu'à ce que Gretel se mette à hurler entre eux en se bouchant les oreilles, recroquevillée sur elle même, et grelottant de peur.
Ils avaient alors tout arrêté, pour s'occuper de leur fille. Là se trouvait leur seul terrain d'entente, la seule chose qui les reliait désormais. Ils étaient tristes tous les deux de voir leur fille unique les cheveux rasés, exposant sa difformité à tous, pleurant toutes les nuits de ses cauchemars affreux. Elle avait failli tomber enceinte, mais le colonel avait fait grâce à sa maîtresse d'un médicament de haute technologie pour l'en empêcher. Elle remontait la pente grâce au chaton que son père lui avait ramené de la ville basse, et aux attentions qu'il lui procurait quand sa mère était au palais. C'était la seule chose qui pouvait faire croire qu'Anastasia et lui étaient encore ensemble.
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SURVIVABLE
Science FictionVoilà près de 50 ans que toute forme de civilisation a disparu de la Terre à la suite d'une apocalypse nucléaire. Dans l'obscure forêt qui recouvre désormais toute la partie Nord de l'Europe, des descendants de survivants continuent à se battre au q...