Mark

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On lui avait ramené sa fille la veille, après qu'elle se soit perdue dans les bas fonds de New L.A. pendant deux jours, après avoir subi tous les sévices. Ce que lui avaient fait ces bêtes humaines était innommable. Ils paieraient. Elle paierait. Gretel était devenue muette, et il n'avait pas su ce qu'il s'était exactement passé, mais il pouvait reconstituer la plus grande partie de l'histoire. Avec l'appui d'Anastasia, ils l'avaient amené au palais, et elle avait été soignée avec l'appui du colonel avec tout l'attirail technologique du gouvernement. Plus de fractures, plus de violence, plus de corps meurtri. Elle avait été gavée d'antidépresseurs et depuis ses parents lui en glissaient dans sa boisson le matin.

Mais rien de tout ça n'y faisait. Elle restait muette et apathique, elle n'avait pas dormi, ou presque, et avait passé sa nuit à des cauchemars effrayants que son esprit torturé lui soufflait. Il en voulait à la terre entière, à la ville, aux gens qui y habitaient et au système qui avait laissé de telles choses arriver. La meilleure solution aurait été de raser la ville basse, mais il y avait des problèmes de relogement, de déficit, de crise et de désaccord avec le gouvernement central. Donc bien sûr on était obligé de trouver une autre solution, un autre moyen de faire payer.

Il avait dû occulter sa rage ce matin au conseil. Il avait dû expliquer calmement son point de vue sur les avantages économiques du projet de l'année du colonel, écouter les félicitations quant à la résolution de la crise des bûcherons du nord par le colonel. Il avait dû refuser de financer une grande réception en l'honneur du général pour sa fête, et accepter au contraire de payer des travaux se renforcement des remparts Est qui tombaient en ruine. Mais à quoi servaient donc ces remparts, puisque personne ne pouvait les attaquer ? Quoi qu'il en soit, le conseil avait été d'un ennui remarquable, une confrontation sans fin avec les uns et les autres, et devoir regarder Cassius prendre presque les décisions à la place du colonel l'avait horripilé, augmentant encore sa rage.

Pour continuer à apprécier cette journée délectable, Mark avait présidé un repas sinistre, entre sa femme pleurant, criant, se taisant dans des épisodes de crises périodiques, et sa fille muette, le visage inexpressif d'un Homme éteint. Lorsque sa femme avait quitté le repas en hurlant de douleur de voir le fruit de sa chair dans un tel état, et était sortie de la maison vers le palais, la colère de Mark avait encore augmenté d'un cran. Elle allait se faire baiser par le colonel sans aucun égard pour sa famille, toute tournée vers son intérieur tourmenté, et sans même penser que son mari aurait besoin d'elle pour prendre la situation en main. Il avait amené Gretel à sa chambre, l'avait couchée, et lui avait lu un livre jusqu'à ce qu'elle s'endorme.

Il s'était ensuite penché sur ses colonnes de chiffres, notant et comparant les dépenses et les recettes de la cité. Mais les fins caractères penchés lui avaient semblé un affront de trop dans cette journée. Il avait claqué le registre de comptes et fermé son bureau. Il était incapable de se concentrer dans un état pareil, et encore moins de jongler avec les finances de l'état. C'était trop risqué. Le palais. Là se trouvait tout son réconfort, toute sa thérapie. Il courut jusqu'à la porte d'entrée, donna comme ordre de ne surtout pas déranger sa fille, et claqua la porte. Il ne pouvait pas courir dans la cour blanche sans intriguer quelqu'un, alors il se retint jusqu'à ce qu'il entre dans le palais. Premier escalier à gauche, qui monte celui là. Les baies vitrées se succédaient sur sa droite pendant qu'il gravissait les marches une par une, sans croiser beaucoup de monde en cette heure de sieste.

C'était toute une institution, la sieste. Ça remontait à plus loin que la mémoire des hommes, un mode de vie adopté dans les anciens temps et repris par les masses jusqu'à aujourd'hui pour laisser les palais vides en début d'après midi. Mark déboucha tout en haut de l'escalier sur l'intérieur de l'immense coupole. Un hangar de béton froid, rond et moderne, boulonné d'acier et aveugle du monde autour. La salle de sport rêvée. Mark se déshabilla, ne conservant que ses chausses extensibles pour ne pas se gêner. Il courut, tendit le bras pour attraper la première barre, et s'y hissa à la force de son bras et de son élan. Il se leva, sauta sur une barre voisine, légèrement au dessus, marcha comme un funambule jusqu'au poteau central et continua à jouer à l'écureuil pendant un quart d'heure.

SURVIVABLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant