La fille du marché

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New L.A. était un labyrinthe de boue et de métal, de matières plastiques tendues en rideaux et d'immeubles bancals. L'eau du fleuve proche avait été détournée pour alimenter le plus de monde possible, mais la plupart des gens convoyaient dès le matin pour aller puiser quelques bidons d'une eau sale et boueuse, chargée de terre radioactive amassée sur des centaines de kilomètres à l'ouest. Le bruit des ruelles minuscules était a la mesure de la foule grouillante qui sévissait dans ces lieux inhospitaliers. Des mendiants, des infirmes, des marchands et des clients, des chariots et des animaux estropiés, pleins de vermines et rongés par la gale. Les plaies des gens assis sur le bord du chemin et qui criaient trempaient dans la boue souillée des urines et des déchets qui venaient toujours de plus haut.

Plus haut, sur la colline, une muraille blanche dominait la précarité de la ville, accompagnée de quelques villas luxueuses sur les flancs. Plus on s'approchait de la citadelle, plus les maisons étaient construites et non assemblées, et plus les rues étaient pavées et non enduites d'une couche de boue et d'excréments. On en venait presque à bénir les gardes de les avoir mises dans un chariot.

Le marché était proche. On l'entendait avec ses bruits intenses, plus encore que dans les rues avoisinantes, où déjà on criait et hurlait sans discontinuer. Les étals étaient l'objet de vives criées, d'échauffourées diverses, de contentieux et de marchandages entre les vendeurs et les acheteurs potentiels, qui tentaient indéfiniment de baisser des prix auxquels la jeune fille ne comprenait rien. Il y avait des pièces de différentes tailles et de différentes formes, qu'elle voyait miroiter dans les mains multiples de la masse étendue en dessous du chariot. Les mendiants près des murs fins et fragiles exposaient des affiches gravées qu'elle savait lire, à sa surprise. "I haven't eat for 3 days","My children will thank you", tout ce genre d'incitations à l'aumône qui ne devaient, au vu de leur apparence miséreuse, pas être très efficaces.

De ces gens amassés sur le chemin, les pire étaient les estropiés. La plupart étaient mendiants, et exposaient des blessures béantes, plaies infectées et gangrenées, envahies d'oeufs d'insectes, de boue, tant que le sang qui devait couler était caché par la plaque de misère et d'absence de soins dont ces pauvre gens étaient victimes. Ils étaient tous condamnés à être ensevelis par la ville, par cette marée de terre et de déchets élevés vers le sommet blanc de la colline.

Le marché était un monde fermé, encadré par des arcades de métal et de plastique noirs, assombri encore par le ciel gris et gros de nuages plombés par les vents forts. Les cris y étaient plus forts, plus intenses, et ceux de douleur s'ajoutaient aux habituels marchandages bruyants des tractations humaines. Avant même d'avoir passé les portes Juliette et l'amnésique surent qu'il s'agissait d'un marché aux esclaves. Les chaînes cliquetant, les coups claquant, les pièces ruisselant des coffres des riches acheteurs transpiraient de l'enceinte de ces halles étranges. Passées les portes noires de ce monde à part dans la cité tentaculaire, le spectacle était encore plus effrayant. C'étaient des rangées d'estrades chacune enduite d'une couleur différente, avec un motif blanc sur le dais qui surmontait ces lieux de ventes. Dans la fosse se pressaient des acheteurs, affichant une richesse ostentatoire, draps clinquants et cristaux enchâssés maladroitement sur des griffes de cuivre ou de fer, suivis de leurs capitaux portés par leurs acquisitions précédentes, des colosses comme ceux qui étaient à vendre au niveau de leurs épaules.

Les marchands formaient des tableaux d'art humain, variant les couleurs et les postures, vantant la force de leur athlète venu des contrées gelées de la mer Noire, la sagesse d'un vieillard décati importé de la zone 1, et destiné à enseigner gratuitement à vos enfants dans le respect du Général. Chaque marchand avait sa propre spécialité, sa propre clientèle et sa propre renommée. Certaines estrades étaient clairement négligées, remplies d'un peuple handicapé et laid, acheté en gros la plupart du temps par les constructeurs en quête de main d'oeuvre gratuite et peu embarrassante à tous points de vue. D'autres au contraire étaient particulièrement soignés, leurs propriétaires reluisants et opulents présentant dans une précision d'orfèvre une poignée d'esclaves hors de prix, tous résistants aux mutations génétiques, la tête remplie et prête à servir. Déjà tous les occupants de la carriole, au mépris de leur condition d'Homme et acceptant docilement d'être vendus, se d'être émanaient anxieusement chez quel marchand ils seraient exposés.

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