Feu Gauvain Ermengaud

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Feu Gauvain Ermengaud,

Seigneur de Massilhan.

Sous un ciel de jais façon dais funèbre, les orages ont tourné toute la nuit sans éclater. Un jour nouveau, blafard, se lève.

Une horde hétéroclite de manants et de bourgeois piétine le pavé sous les murailles. Devant la porte close du castel planté au milieu du bourg, ils portent haut bâtons et fourches et scandent :

« Gauvain ! Gauvain ! Gauvain ... »

Au fond de la douve sèche, le feu peine à consumer un amoncellement : vêtements, coussins et couvertures, literie, artefacts, sellerie, armes, un fauteuil de bois polychrome trône au sommet du tas. Malgré la bise coupante comme un rasoir, on se tient à distance du foyer qui charbonne et on apporte des fagots de sarments secs pour réactiver la combustion.

La piétaille recule pour se garder de cette néfaste et âcre fumée.

Enfin, le porterel s'entrouvre pour laisser sortir l'évêque d'Agde, visage fermé, mitre d'apparat, chasuble noire et étole brodée d'or. Sous ses oripeaux sacerdotaux, il se présente en majesté, gras comme un porc et blanc comme un cierge.

Il lève les bras, ils font silence.

Dans son dos, deux hommes d'armes repoussent les lourds battants contre les murs, dégageant un passage. Ils réintègrent la bâtisse pour revenir portant une civière dont le gisant est occulté par une pièce de drap noir qui pend de tous côtés. Lors, le prélat se met en marche suivi du corps et des porteurs ; à leur suite, la veuve, longue silhouette masquée sous ses voiles de deuil, soutenue par un jeune homme en armes. Le cortège se fraye un chemin dans la foule qui s'écarte pour se presser des deux côtés avant de lui emboîter le pas. Ainsi, la procession funèbre se forme et grossit de place en place en traversant le bourg pour s'entasser debout dans l'église bondée et obscure, les cierges sont éteints.

Au centre de la nef et au bas des marches, dans la pénombre, cerné de fourches et d'hostilité, chœur interdit, le trépassé semble frémir sous son suaire.

Alors, sous l'autorité de Monseigneur l'évêque, le prêtre de la paroisse s'avance, silhouette émaciée en soutane élimée, et chante l'office des morts, celui des pauvres, à minima.

Aucun répons ne rompt les litanies qui s'enchaînent...

Ite missa est.

La messe est dite.

Il s'adresse en ces termes au défunt et à l'assemblée :

« Ladre, entends nos exhortations et soumets-toi !

Je te condamne et te fais défense de jamais entrer dans église, marché, moulin, four public comme en tous lieux fréquentés par gens. Tu ne reposeras qu'en ta bourde, au lieu dit « Infirmerie ».

Item, je te défends de jamais laver tes mains et toutes choses nécessaires dedans fontaine ou ruisseau de quelque eau que ce soit et pour boire t'enjoins de puiser toujours avec ton baril.

Item je te défends à partir de ce jour d'aller sans ta hosse, ta robe de lépreux et portant haut et visible de loin, tache rouge et cliquettes, afin d'être connu des chrétiens et de jamais entrer déchaussé dans échoppe, maison et tous lieux habités par les hommes.

Item je te défends de toucher autre chose à prendre ou acheter sinon avec une verge ou un bâton.

Item je te défends d'entrer dans une taverne pour acheter du vin ou tout autre chose que l'on te baillerait, mais fais qu'on le mette dans ton baril ou tout autre vaisseau t'appartenant.

Le Goliard et la ScriboteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant