La Saint Pierre.

38 8 1
                                    


La Tramontane est tombée après avoir balayé la totalité des nuages, laissant la voûte céleste, d'un bleu divin, enchanter la populace rassemblée hors les murs, devant la porte Sud, sur le rivage de tous les dangers.

Le cœur léger, ils ont dressé une vaste tente de draps blancs, installé des bancs et des tables.

On est allé quérir l'image du saint dans sa chapelle paléochrétienne de Fabricolis, à l'orée des marais du Bagnas...

Le soleil est à son zénith.

« Ils arrivent ! »

Flottant au dessus des haies de blanquettes grises, on aperçoit la statue polychrome du Saint Pierre en majesté à la proue d'une maquette de barque naviguant sur des vagues peinturlurées en bleu. L'équipage entier s'arrache du chemin creux et se démasque enfin : le tout, taillé d'un seul bloc dans une souche d'olivier cinq cent ans plus tôt, est juché sur un palanquin de bois doré décoré de fleurs sauvages et porté à l'épaule par quatre robustes pêcheurs. Le reste de la troupe suit par derrière et relaye les portefaix tous les cinquante pas.

Fifres et tambours se précipitent à leur rencontre.

La foule massée sur le rivage s'ordonne en demi-cercle pour les accueillir.

Ils chantent :

« Petrus !

Ora pro nobis ! »

Les porteurs s'agenouillent afin que le prêtre puisse laver les pieds de la statue avec un petit seau d'eau bénite et un linge.

Tout ce beau monde, en tête les pêcheurs et le palanquin suivis de la musique, du curé, des notables, des confréries de pénitents et de la populace, se dirigent en procession jusqu'au port où ils embarquent sur les cogues et les nacelles.

Les femmes, hormis la Scribote en habit d'homme, resteront à terre.

Une gerbe de fleurs tressées en couronne mortuaire passe de mains en mains pour se retrouver autour du cou du Saint sur le bateau-bœuf du viguier ; à force de rames, la grande cogue prend le large, les autres l'escortent.

Goliard suit le mouvement.

On hisse les voiles à quelques encablures du rivage et la flotte décolle du bord. Goliard est le dernier et le bayle s'invite à son bord.

Il comprend qu'il est loin d'en avoir fini avec ce sournois, s'incline respectueusement et lui propose de s'asseoir sur le banc en face. L'autre n'a pas l'air mal disposé à son égard, et même il sourit largement, mais le pêcheur se méfie du fielleux d'autant qu'il est mielleux à cette heure.

« Vous me faites grand honneur messire.

- Pour te mieux connaître et témoigner de notre reconnaissance. Le guet a confirmé la véracité de ton intervention nocturne contre les maudits païens, ces pirates du diable qui traitaient de nous occire nuitamment avant que de piller le bourg.

- Et la tour cramée ?

- N'ayant d'autre alternative, tu fîs bien et nous l'allons reconstruire sur un autre site plus avant dans la même passe. »

Par une savante manœuvre, aidé du flux sortant, Goliard se rapproche du vent et par là même du bateau-bœuf en tête de la flottille.

Tous chantant, la procession de bateaux sort de l'étang de Taur par le grau principal, un franc chenal, une route d'eau verte cernée de murailles de roseaux et ils débouchent à la mer sous un soleil de plomb.

La grande cogue jette l'ancre à quelques encablures et tous l'environnant s'amarrent à elle ou les uns aux autres.

Pour le commun, les secrets de navigation antiques sont perdus ; hormis Goliard qui jette une ancre, peu se risqueraient en pleine mer.

Le Goliard et la ScriboteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant