Épilogue.

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Soutenu en l'air par une bonne brise, il a volé toute la nuit. D'abord plein sud, et l'ombre venue, à la poursuite d'une étoile.

Au petit jour, il embrasse du regard la mer immense, vide.

Il a dû les dépasser sans s'en apercevoir ; alors il grimpe au plus haut par paliers successifs et revient sur sa route. Par moments, l'air vient à lui manquer. Quand il est trop ténu pour le soutenir, il glisse plus bas. Ces ascenseurs l'épuisent. Il est désespérément seul et tremble de les avoir perdus.

Quand il n'y croyait plus, il les retrouve, les suit.

Il est épuisé, il a faim, il a soif, ses paupières sont de plomb et il a des absences, des sommeils impromptus... Ses yeux brûlent et il distingue pourtant quelque chose sous lui, une intrigante vision. Il la rejette comme il le ferait d'une hallucination fiévreuse mais elle est tenace. Sous le sillage du voilier, une forme se précise dans le bleu, une masse sombre glisse entre deux eaux, énorme et néanmoins fuselée, aussi longue que le bateau qu'elle paraît poursuivre.

Une menace ?

Faut-il les prévenir ?

Goliard essaie de crier ; il n'a plus de voix.

Ses voiles tendues avec art, le chebec effilé file sans effort, léger sur la crête des vagues. Le pont semble désert, juste un barreur sur le château arrière qui lui tourne le dos.

Pour son voyage de retour, le Maure n'a pris que six hommes d'équipage, les meilleurs, et ses trois haschischins. La mer est belle, la brise soutenue et le soleil au zénith embrase le navire de ses rayons ardents.

Le Reïs et sa Scribote, pour l'heure, font la sieste dans leur cabine, prisonniers de cet appétit inextinguible qui les dévore.

Imperceptiblement, Goliard se rapproche, il ne sent plus ses bras et il peut s'effondrer à tout instant. Pendant qu'il a encore une alternative : le pont du chebec ou l'amerrissage, il se doit de décider sans plus attendre.

C'est le moment que choisit l'un des haschischins pour émerger de la cale, se percher sur le bastingage arrière et uriner sous le vent, direct dans la mer.

Pour refaire son turban, il lève la tête et aperçoit enfin l'homme volant sur sa machine. Surpris, il marque un temps d'arrêt et tête nue court prévenir son capitaine.

Il toque à la porte. Personne ne répond. Alors, s'enhardissant, du pommeau de son poignard, il frappe à coups redoublés.

Son Reïs répond enfin d'une voix courroucée, manifestement il dérange.

« Qu'est ce que tu veux ? Qu'est ce qu'il y a ?

- L'homme oiseau, seigneur ! Il est là ! Il nous suit !

- Je viens. »

Pour le coup, le grand maure est bluffé.

Nu, dressé sur le château arrière, il observe sans broncher la tentative d'atterrissage du Goliard qui se rapproche sous le vent.

La Scribote, à la hâte, a passé un caftan de soie rose et rejoint son amant. Elle agrippe son bras.

Pendant une longue minute, elle observe la manœuvre...

Brusquement elle se saisit de l'arc du haschischin et décoche deux flèches.

La première traverse la soie et la déchire. Sous la pression de l'air, le trou s'élargit et Goliard fait une embardée. La deuxième lui perce le flanc et il s'abime dans la mer.

Elle rend l'arc et retourne se coucher. Le Reïs hoche la tête et la suit.

Le chebec continue sa route.

Le guerrier, accoudé au bastingage, observe le naufragé à la dérive ; il doutera longtemps de ce qu'il a cru voir.

Bercé par les vagues, le blessé surnage encore sur sa machine-radeau. Il sait qui l'a frappé, il accepte la fin.

Du bleu abyssal et la gueule béante, surgit le Léviathan.

Il aura juste le temps d'entrevoir l'œil gris cerclé de rouge du squale qui le jauge avant de l'avaler.

La mer se referme sur eux.

Fin.




Bibliographie :

« La pêche dans les étangs Languedociens au Moyen-âge. »

Mémoire de maîtrise de Mme Lise Dautel-Campos.

Et

« Les intellectuels au Moyen-âge. »

De Jacques Le Goff, éditions du Seuil.

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⏰ Dernière mise à jour : May 14, 2016 ⏰

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