Fournaise.

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Soufflant du nord, un vent puissant s'est levé, balayant le ciel et la terre, pourchassant la nacelle de Goliard sur la lagune démontée.

Pour rester manœuvrant, il a hissé la plus petite de ses trois voiles, le triangle, la trinquette minimum, et c'est encore trop pour les bourrasques qui le fouettent comme un damné.

Il n'en a cure ; vent arrière, il se fraye un chemin entre les lames courtes, serrées, furieuses, pressées. Il s'engouffre dans le chenal, la passe de l'étang à la mer et double le tas de cendres qui a été une tour de fustes. Il a pris au plus long pour déboucher sur le Marenostrum dans l'abri précaire du cordon littoral. Il suit de près le rivage au risque de s'échouer. Le rempart des dunes n'est pas continu et il affronte des courants terribles et des rafales tempétueuses qui le contraignent à lâcher sa voile et tout cela sans perdre sa route, sans se laisser entraîner au large où se lèvent les grandes vagues qui briseraient son esquif.

Il navigue au ras de la plage, il y sera moins visible à l'ombre du bord ourlé de pins et de chênes verts. Il a prévu de s'échouer en vue du Mont Saint Clair et de terminer son approche furtivement, à pied. Il n'a pas de plan précis, il sait seulement qu'il doit approcher au plus près et profiter de la nuit et des circonstances pour tenter une infiltration. Les villageois vont-ils essayer de récupérer leur Scribote ? Si cela se produit, il exploitera au mieux la diversion, sinon, il ne lui restera qu'à attendre l'obscur pour agir, seul.

Le viguier n'a pas perdu de temps et pousse son avantage, il préside à Mésa, une assemblées de consuls, notables et tenanciers de pêcheries issus de cette cité voisine de Massilhan.

« Comme vous y allez viguier ! Brûler Saint Clair ?

- Oui ! Et de la sorte se débarrasser des pirates. Les sarrasins mortis ou en fuite et leur base détruite, vous pourrez redéployer vos filets et maniguières sur ces rivages libérés en face de votre cité.

- Des rivages qui étaient nôtres.

- Je ne le conteste pas, et ils le redeviendront.

- L'idée bien qu'audacieuse et radicale paraît bonne, mais alors, pourquoi ne la défendez-vous pas devant les citoyens de votre bonne ville de Massilhan ?

- Ils sont frappés au cœur et au cap, désorientés et abasourdis des infortunes que nous avons subies. Les juifs et les maures nous ont attaqués de l'intérieur et à mon sens vous pourriez être la prochaine cible.

- Des juifs !

- Nous avons chassé les juifs, mais les autres ont enlevé notre Dame et Dieu seul sait ce qu'ils en ont fait.

- Dieu l'ait en sa sainte garde !

- Comme vous dites. Il faut agir vite et profiter de ce mistral, s'il faiblit nous perdrons cet allié déterminant.

- Et l'Évêque ?

- Je porte sa parole.

- Et les maures ?

- Nous n'allons pas les affronter directement, nous allons les cramer. Dieu nous envoie les bourrasques, cette colline sera leur Armageddon ! »

En fin de nuit, une vingtaine d'hommes résolus et autant d'archers abordent la presqu'île par le nord, sous le vent, à bord de trois cogues et deux bettes.

À leur vue et surpris de l'audace, les deux sarrasins de garde sortent de leur torpeur et décampent.

« Malédiction ! Ils nous ont vus. Ils vont prévenir le gros de la troupe.

Le Goliard et la ScriboteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant