Le camp des haschischins.

37 9 1
                                    


Goliard appareille à la nuit tombée. Il récupère dans sa cache l'esquif des barbaresques qu'il prend en remorque, suit le rivage, et accoste comme convenu au lieu dit « Le Bosc » où il a prévu d'embarquer Samuel vêtu et masqué de noir. Il n'est pas seul : le colosse qui le suit charge les deux ballots de marchandises sur la cogue et les repousse au large avant de les saluer d'un geste de son énorme main. Sa tâche terminée, il disparaît sous les arbres.

« Samuel ? Comment parvenez-vous à sortir du bourg à la nuit tombée et sans vos rouelles cousues ?

- Nous avons nos entrées.

- Vous avez corrompu un garde ?

- Trop risqué.

- Alors vos entrées ?

- Une surtout... Tu permets que je te la cèle...

- Vous m'étonnerez toujours.

- Moi ?

- Les juifs.

- Qu'est ce qui t'étonne tant ?

- Votre faculté d'adaptation.

- Elle a ses limites. »

Un léger vent arrière les pousse vers le but.

Malgré l'obscurité, Goliard se dirige sans encombre à travers filets et maniguières de pieux et de roseaux et rejoint les eaux libres. En ligne de mire, la colline dont on devine plus qu'on ne la voit la masse sombre sur les rives orientales du plan d'eau.

Moins de deux heures plus tard, ils touchent au but. Samuel suggère une direction. Une minuscule crique encerclée de vieux tamaris enchevêtrés s'ouvre devant eux comme par magie.

Goliard abat sa voile et ils continuent sur leur erre jusqu'à un petit ponton de bois éclairé d'une lanterne où ils amarrent la barque.

Samuel soulève la lampe, trois fois.

Instantanément, trois sombres silhouettes, trois maures en armes sortent des fourrés et les saluent, une main sur le cœur. Ils hissent l'esquif sur le rivage, puis les deux plus forts chargent les ballots sur leur dos et les précèdent à toutes jambes sur le sentier qui grimpe jusqu'au sommet de la colline.

Le troisième replonge sous le couvert.

Au travers des grands pins, la piste en lacets est raide, ils la gravissent en silence. Goliard le nyctalope ouvre la marche. Les porteurs les ont distancés, ils sont seuls. Samuel semble en pays de connaissance.

Les arbres s'éclaircissent enfin, dévoilant une crête de rochers clairs, des plaques de calcaire hérissées encadrant un portail naturel, une trouée dans la barre de pierre, ouverte sur l'autre versant, la mer.

Ils se posent pour souffler. La vue bascule au sud. La forêt reprend, mais, par-dessus les cimes, on distingue tout en bas des feux sur la bordure maritime et des navires à l'ancre.

Le sentier en descente, plus raide et plus rapide jusqu'à une large clairière en partie défrichée et plantée en rond de tentes bédouines, l'ost du Maure a installé son camp sur une terrasse de terre battue étayée de lauzes et de pierriers.

Au mitan, un grand foyer éclaire et réchauffe la horde en armes qui festoie.

Autour du feu dansent trois belles mauresques, le haut et le bas du corps drapés de soieries éclatantes encadrant leurs ventres nus, opulents et mouvants au rythme des tambours, tantôt voluptueux et lascifs, tantôt frénétiques : tambourins, luth, oud et flute à bec.

Le Goliard et la ScriboteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant