Judas.

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Désœuvré, il erre par les ruelles de la circulade avant de descendre vers le port.

Pêcheur sans barque et sans espoir de rachat, il n'est plus rien. Il avait confié son argent, ses deniers à Samuel.

Qui peut dire où est passé le banquier ?

Quand il croise quelqu'un, il le détaille des pieds à la tête mais ses yeux scrutateurs tout exercés qu'ils soient ne parviennent pas à déceler le moindre indice qui lui permettrait de faire le tri entre les innocents et les bourreaux, les paisibles et les enragés de la Saint Pierre. Ses concitoyens ont repris masque de chair et débonnaire apparence.

Assis sur les rochers de la digue, il contemple l'étang qui, lui aussi, donne le change et miroite au soleil, apaisé. La tempête est au loin ; il rêve des dauphins...

Il a attendu la première heure de nuit pour se glisser dans les égouts, et de là, il remonte le souterrain des juifs jusques aux caves. Chemin faisant, il trouve un arc et trois flèches sur le sol, sans doute perdus là par les maures pressés de fuir. Il les emporte. En cas de mauvaise rencontre, il n'est pas homme de guerre mais il en connaît fort bien le maniement.

Il bute dans un vieux balai de genêts. Sur le sol, nulle trace, les passages dans la poussière ont été effacés. Le nyctalope inspecte une à une les pièces secrètes.

Toutes désertées.

Partout ombre et silence règnent. Il en est rassuré. Il décroche une torchère. Elle est garnie d'huile. Il actionne par trois fois le briquet à silex qu'il a eu soin d'amener avec lui et parvient à allumer un germe d'amadou. Il souffle dessus et obtient une flammèche.

La torchère à bout de bras, il revisite le labyrinthe. Une enfilade de chambres excavées il y a beau temps dans l'argile dure et la roche tendre. Certains cheminements s'arrêtent, d'autres bifurquent pour déboucher vers de nouveaux boyaux. Cet enchevêtrement semble avoir été conçu en suivant les seules lois du hasard et de la nécessité et sans la moindre logique architecturale.

Tout est désespérément vide.

Dans un recoin du dédale, au fin fond, il pénètre dans un ensemble de catacombes creusées de caveaux.

Un cimetière à tiroirs dont les parois sont creusées de niches obturées. Il essaie d'en lire les épitaphes, peine perdue, elles sont toutes gravées en hébreu.

Au centre de ce complexe funéraire, il accède à une plus vaste salle, voûtée et décorée de bas-reliefs.

Une synagogue.

Trois piliers soutiennent la voûte. Il pose la lumière au centre. Il s'interroge.

Lors de son entretien avec l'assemblée des raisins, ils ont mentionné une bibliothèque. Elle ne peut se trouver ailleurs mais la découvrir sera malaisé, ces gens sont sages et précautionneux, l'accès doit être dissimulé avec art.

Les murs, les piliers, le plafond sont décorés à fresque de ménorahs, les chandeliers à sept branches du temple de David, mais la paroi qui lui fait face retient son attention, elle est finement gravée sur toute sa hauteur de bas-reliefs de stuc.
Une mer déchaînée figée dans son déferlement.

Un bruit lointain, l'écho de pas, le tire de sa contemplation.

Il retourne à l'entrée, l'oreille aux aguets...

Pas de doute, on marche.

Il souffle la torchère et s'efface derrière un pilier.

À l'affut, il attend l'initié. Un pas lourd se rapproche, une lueur, celui qui vient est confiant, sans doute un familier des lieux.

Le Goliard et la ScriboteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant