Chapitre 23 : La déesse mordorée

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Léopold leva la tête de ses cartes et regarda près des portes. C'était Cyril. Il n'était jamais entré dans cet étage, il le découvrit pour la première fois. Le jeune garçon regardait les étalages de livres et semblait impressionné par la taille de ses immenses étagères. Roxane se rappela aussi de sa première entrée dans cette salle. Un frisson de nostalgie la parcourut.

- Hey, gamin ! cria Léopold. Tu es perdu ?

L'adolescent restait encore plongé dans les couvertures mais il est répondit :

- Non, non, je viens voir... (il baissa les yeux sur son petit bout du papier qu'il avait dans les mains, sur lequel un prénom était noté) un certain Léopold.

Il regarda en direction de la jeune fille et du vieil homme.

- Ah, ça doit être vous alors, le « vieux barbu avec un manteau en peau de chouette »...

- Qui-est ce qui t'envoie ?

- Rosalind.

- Non ! Elle a osé me... ! Non !

Le jeune garçon regarda de nouveau son petit papier puis répondit :

- Et bien si c'est vous Léopold... Oui, elle a osé me donner cette description de vous.

- Non ! Quand même pas !

- Apparemment si...

- Non ! Elle a...

- Bien, assez ! interrompit Roxane.

Les deux hommes furent étonnés de cette interjection et de ce fort caractère. La Tour et son ambiance commençaient à forger le caractère de notre chère héroïne.

- Pourquoi Rosalind t'a envoyé ici ? demanda la jeune fille.

- Tout d'abord parce qu'il va y avoir une réunion des bergers à Montesquieu et elle veut que tu y sois aussi Roxane ; la seconde chose, je ne sais pas vraiment, elle m'a seulement dit de vous dire qu' « elle arrive ».

Léopold adopta un air perdu, déboussolé. Il répéta :

- Elle arrive ... Elle arrive ? Maintenant ? ... Non, impossible... Pourquoi maintenant ?!

- Mais qui donc arrive ? demanda Roxane.

*

Dans l'ascenseur, l'ambiance était de glace. Pas un mot, pas même un reniflement. Roxane, Léopold et Cyril restaient muets ; jusqu'à ce que le vieil homme bougonna ses pensées tout haut :

- Et puis merde, au diable les bonnes manières ! marmonna-t-il dans sa barbe... Déjà que je vais devoir assister à une de leur réunion pourrie, avec ce foutu Wilson de... J'en ai marre.

- Vous aussi vous n'aimez pas M'sieur Heilbronn ? J'le trouve...

- Ringard ? demanda Léopold.

- Pire, avec ses méthodes à la vieille école.

Roxane et Léopold rirent. La jeune fille pensa qu'ils s'étaient bien trouvés ces deux-là.

*

Les portes de l'ascenseur se fermèrent derrière elle. La femme marchait lentement, d'une allure droite et élégante, en roulant ses hanches. Ses cheveux blonds comme les blés étaient en parfait accord avec sa robe dont le buste en or massif dessinait gracieusement ses formes et sa poitrine. Il était magnifiquement orné de filigrane en laiton. Son voilant ambre qui trainait au sol était recouvert d'une seconde, noire cette fois-ci, en mousseline de soie. C'était des plumes, de couleur or également, qui séparaient le buste et le bas. Seuls les claquements de ses talons raisonnaient dans le couloir silencieux. Plusieurs femmes du service passèrent devant elle, les yeux baissés, remplis de crainte. Chacune s'inclinaient face à elle, qui ne s'arrêtait pas, sans un mot. La femme qui était couronnée d'un serre-tête imitant une fabuleuse feuille de laurier dorée, retint un homme, sûrement appartenant au commando militaire de la Tour en raison de son équipement, en lui déposant une main sur le torse. Il resta pétrifié, médusé par sa beauté. Elle le regardait dans les yeux et articula avec un accent dit british « Où est Néo, s'il vous plaît ? ». Le jeune homme ouvrit la bouche mais aucun mot ne sortit. Il avait la respiration tremblante. Il réussit à balbutier « Je... Je ne sais pas madame... Veuillez m'excusez.». La déesse mordorée se redressa plus intensément puis retira ses gants avec deux doigts avec une délicatesse effrayante. Elle les laissa tomber par terre, le fixa de ses magnifiques et terrifiants yeux bleus, et lui hurla « OÚ EST NÉO ?! ». Elle cria tellement fort qu'on aurait pu croire que la Tour tremblait. Mais c'est à Proudhon que le son de sa voix fit écho, réveillant ceux qui se tapissaient dans l'ombre.

La femme ouvrit avec délicatesse les doubles-portes qui menaient vers la chambre du Roi. Néo était au fond de la pièce, dans l'obscurité, assis dans un fauteuil, buvant un whisky, éclairé par la douce lumière d'une lampe. Les glaçons tintèrent calmement dans le verre d'alcool presque vide. Il ne lui adressa pas même un regard lorsqu'elle entra dans la pièce. Elle se dirigea devant le miroir et retira sa robe et ses bijoux. Le voile tomba à ses pieds. Les ombres oscillaient sur son corps nu. Toujours sans aucun vêtement et sans aucune forme de pudeur, elle traversa la pièce nocturne et ouvrit une grande armoire au design des arts nouveaux de la fin du XIXème siècle, aux formes douces et ondoyantes, afin d'y prendre à l'intérieur un peignoir de soie rouge. Elle l'enfila et se dirigea vers la table à coiffer afin de brosser d'un geste aérien ses beaux cheveux. Une fois fini, elle se mit du rouge sur ses lèvres pulpeuses et vint enfin, après une dizaine de minutes dans le silence, s'assoir dans un fauteuil face à Néo. Il ne l'avait toujours pas regardée, perdu dans ses pensées. Il ne l'avait peut-être même pas entendue depuis son arrivée dans la pièce. Pour lui, elle n'était jamais entrée.

« Bonjour, Néo. » lui lança-t-elle avec sensualité.

Le roux but une dernière gorgée de sa boisson et déposa son verre sur la table à côté. La lumière de la lampe faisait briller les dernières gouttes sur les glaçons chauds qui commençaient à fondre. Il la regarda enfin. Il lui répondit, avec une voix tout à fait sérieuse :

« Bonjour, Elizabeth. »

Elle s'enfonça dans le fauteuil et prit une cigarette. Elle fit des étincelles par séries de trois avant de l'allumer. Elle en tira une bouffée et ferma les yeux. Néo, cette fois-ci, il ne la quittait plus du regard. Elle relâcha voluptueusement la fumée qu'elle filtra entre ses lèvres, puis lui demanda avec la cigarette au bout des doigts :

« Qui est Roxane ? ».

Elle rouvrit les yeux, et le fixa du regard. Lui, détourna sa vision dans le vide.

« Qui est Roxane Musset ? ».



LE MURMURE DE LA PLUIE | Science-FictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant