Jude
Californie
- Salut, beau gosse.
La voix féminine me tire de mon sommeil et perce le brouillard dense de ma gueule de bois. Un soupir m'échappe, lourd de fatigue et de lassitude. Je n'ai aucune idée de qui cela peut être et encore moins la force d'ouvrir les yeux. Les rayons de soleil qui transpercent la pièce me frappent comme un rappel cruel de la soirée d'hier. À cet instant, le simple fait d'exister me semble une corvée.
Elle pourrait être n'importe qui. June, peut-être. Cette fille avec qui je traîne depuis quelques semaines et sans que ça n'ait la moindre importance. Ou alors Alexia, mon ex.
Peu probable. Elle n'est pas du genre à revenir sur ses décisions, surtout après ce que j'ai fait. Un coup d'œil à une vieille couverture de People Magazine suffirait à le confirmer. Mon visage figé aux côtés d'une autre femme. Une créature de rêve, selon certains. Un fantasme ambulant, diront d'autres.
Pour moi, elle n'était rien de plus qu'une énième conquête. Un chapitre de plus dans un livre que j'aimerais ne pas relire. Ou peut-être que si. Pour être honnête, je ne me souviens même plus. Il y en a eu tellement après elle. Trop, même.
Je ne sais pas si je devrais en être fier ou si cela devrait m'inquiéter. Mais une chose est sûre : Alexia, elle, n'a pas trouvé ça drôle. Après des mois de patience, elle m'a largué et je ne lui en veux pas. Si elle savait vraiment tout... Les médias ont été étonnamment cléments. Ils ignorent qu'il y en a eu au moins une trentaine comme celle de la photo. Peut-être même plus.
Et si, sur le moment, cela peut flatter mon ego, la réalité est tout autre. Une fois l'adrénaline retombée, il ne reste que ce vide. Un trou béant que je continue maladroitement de combler avec des fêtes, des femmes, de l'alcool et des substances diverses. Foutue jeunesse. Foutue spirale.
- Tu comptes rester étendu toute la journée, ou... ?
La voix me ramène au présent. Cette fois, elle est plus proche, teintée d'une fausse impatience. Je continue à faire semblant de dormir espérant fortement qu'elle finisse par se lasser et partir. La nausée monte en moi, accompagnée d'une migraine qui pulse à chaque battement de mon cœur. Mon esprit est un champ de ruines. Je n'arrive pas à rassembler les pièces de la soirée précédente. Des rires éclatants, des verres qui s'enchaînent, des musiques trop fortes, des visages inconnus.
11h42.
Une éternité semble s'être écoulée avant que la porte ne claque enfin. Je pousse un soupir. Seul. Enfin seul. La chambre retrouve son calme mais je suis encore prisonnier d'une confusion oppressante.
Lorsque j'entrouvre enfin les yeux, la lumière m'agresse et le plafond blanc me nargue de son indifférence. Je me redresse lentement, le dos raide. Le mur taupe qui me fait face, les deux tables de chevet marron verni aux extrémités du lit... Rien de tout cela ne m'est familier. Où suis-je ?
Un frisson de panique me parcourt. Par pitié, faites que je ne sois pas chez cette fille. Si elle revient dans la chambre et recommence à parler, je risque d'être méchant. Par pénurie de patience, je pourrais même être odieux. Je n'ai pas la force pour des discussions superficielles ou des excuses maladroites et ça m'est égal si je la blesse.
Je prends une grande inspiration puis me lève et vacille sur mes jambes. Ma tête bourdonne, ma vue est floue. En quelques secondes, mes souvenirs se recollent : le Balthazar. Une suite que je réserve souvent. Classe, discrète, hors des radars des paparazzis. Loin du tumulte de Beverly Hills. L'endroit parfait pour mes escapades. Je pousse un soupir de soulagement. Ici, tout est sous contrôle. Ou presque. La nausée qui monte, une nouvelle fois, en moi me rappelle que cette routine commence à me peser.
Je me laisse tomber sur une chaise, passe une main sur mon visage et attrape mon téléphone. Au moins, je ne l'ai pas perdu celui-là. Ce serait le quatrième ce mois-ci.
L'écran s'allume, m'éblouit brièvement. Plusieurs notifications. Appels manqués. Messages non lus. Un appel entrant clignote : Jerry. Mon manager. Celui qui gère ma carrière depuis six ans. Plus qu'un manager, il est une figure paternelle sans indulgence. Brutal dans ses critiques mais diablement efficace.
- Yo, Jerry, je réponds en réprimant un grognement.
Ma voix est rauque, à peine audible.
- Putain de bordel de merde, Jude ! T'es où, bon sang ? On a un avion pour Seattle dans une heure ! Ça fait vingt minutes qu'on t'attend devant chez toi.
Merde. Seattle. J'avais complètement oublié. On doit y tourner les dernières scènes du film. Mon cerveau embrumé tente de se raccrocher à une pensée cohérente mais tout ce que je ressens, c'est une fatigue écrasante et le reste d'un bad trip.
- T'es encore là ? hurle Jerry à l'autre bout du fil. Bordel, Jude, bouge ton cul !
- J'arrive, grognai-je. Quinze minutes.
Jerry sait que je mens et que je ne serai jamais prêt à temps. Mais il ne répond pas. Il raccroche, furieux.
Ma tête tourne mais je n'ai pas le temps de me plaindre. Je me traîne jusqu'à la salle de bain et me jette presque sous la douche. L'eau froide me frappe et éclaircit légèrement mon esprit. Propre et sec, je me regarde dans le miroir. Mes traits sont tirés, mes yeux cernés. Le reflet d'une vie de débauche. Une existence qui épuise autant qu'elle fascine.
J'enfile ma chemise froissée à la hâte et je sors de la suite.
Mon chauffeur m'attend, stoïque, devant l'entrée de l'hôtel. À peine assis à l'arrière, je ferme un instant les yeux et me laisse retomber contre le dossier.
Sur le chemin, je regarde par la fenêtre, hypnotisé par le défilement des panneaux publicitaires. Mon visage est partout. Une affiche pour un film, une autre pour une marque de montres. Le Jude parfait, celui que le public adore. Mais ce Jude-là n'existe pas. Il est une illusion, un masque soigneusement élaboré.
Le reflet d'une vie de rêve, d'apparent succès.
Lorsque j'arrive enfin, Jerry est en ébullition. Son téléphone greffé à l'oreille, il gesticule frénétiquement.
- Tu te fous de moi, Jude ?! On a un emploi du temps à respecter.
Je l'ignore et grimpe dans le SUV. Le trajet jusqu'à l'aéroport est tendu. Jerry continue de me sermonner mais ses mots glissent sur moi. Je suis ailleurs. Mes pensées errent entre fragments de souvenirs et fatigue accablante. Tout ce que je veux, c'est arriver à Seattle et en finir avec ce tournage.
Seattle. Une ville grise et pluvieuse, à des années-lumière de l'éclat superficiel de Los Angeles. Je n'étais pas préparé à ce que ce voyage change ma vie.
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Many Love - Saison 1
Romance⚠️ Bad boy en vue, vous êtes prévenus La médecine ? Plus qu'un rêve, une évidence. Les études. Voilà ce qui compte aux yeux de Manon Desfleur. Il y a deux ans, cette jeune française a rejoint les États-Unis pour décrocher son diplôme. Déterminée...