3/Sun

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Un souffle tiède me caresse la nuque. Mes yeux s'entrouvrent à peine, je gémis doucement et tente de me dégager du sommeil qui me colle à la peau. Un garçon est assis près de moi. Il sourit...et je le reconnais. Je souris à mon tour, me blottis contre lui, referme les yeux. Sa main passe lentement dans mes cheveux, accrochant quelques mèches au passage, j'ai mal mais je ne dis rien, même, je souris de nouveau. Je n'ai pas froid, et c'est la plus belle sensation du monde. Je l'entends murmurer un mot...Sun. Sun, sun, sun. Ce mot me réchauffe, me fait du bien. Le garçon continue sa litanie, mentalement je l'accompagne, sun, sun, sun. Puis soudain...mon prénom. Sun. Je lève la tête, le contemple, et j'ai peur de le brûler tant mon regard doit être intense. Mais il ne semble pas troublé, peut-être s'y attendait-il, je ne sais pas, il me renvoie mon regard et le sien me traverse comme la foudre pendant l'orage. C'est injuste. Si je me concentre je nous vois de loin, serrés sur le lit simple, je distingue ses bras, sa bouche, la couleur de ses yeux. Moi je suis floue. Je nous vois, pas seulement aujourd'hui, mais tous ces matins où je m'éveillais, il était là, je ne savais même pas comment il était rentré. Je m'en fichais peut-être, j'aimais sentir une présence lorsque j'ouvrais les yeux, j'aimais sentir sa présence. J'avais l'impression qu'il tenait à moi. Un jour, j'étais moi, j'étais Sun, j'étais seule et c'était comme ça, ce n'est ni triste ni grave, c'est comme ça, et le lendemain il était là. Pourquoi? C'est la question favorite de tout le monde, des gens en général, une fois un prof m'a dit que le pourquoi permettait d'avancer, de comprendre, d'évoluer. Le comment aussi. Mais je déteste ces questions, elles me donnent envie de fuir, je sais que je ne me les pose pas assez. Mais si je m'étais demandé un jour comment est-il entré, que veut-il, pourquoi est-il , qui est-il, pourquoi moi, je crois que j'aurai abandonné. Et surtout, surtout, j'aurai perdu nombre de matins à deux, de sourires au réveil et d'amour silencieux. Je ne connais pas son nom, c'est injuste, lui connait le mien, je ne me demanderai pas comment il le connait, tout est si fragile, une question rationnelle et ça éclate.
Un jour d'été, il avait glissé sous mon matelas une série de photos, des polaroïds je crois, il avait pris les clichés lui-même. Je me souviens les avoir soigneusement étalés sur l'oreiller, puis, à la lumière du jour, les avoir contemplés longuement. J'aimais les voir tous ensemble. La plupart des photos étaient des paysages, des forêts d'or et de lumière, un chalet à la montagne. C'était beau. Un auto-portrait aussi, avec une part de son visage plongée dans l'ombre, l'autre moitié avait un air très dur. Puis je les ai remises à leur place, il ne m'a jamais demandé ce que j'en avais pensé, si je les avaient vues, au moins. Peut-être a-t-il songé qu'elles m'étaient inconnues, que je ne les avaient pas trouvées, qui sait, pourquoi ne resterait-elles pas ce qu'elles sont, un secret caché entre deux lattes? Comme lui.
Je ne suis plus dans mon lit, notre lit, je suis à nouveau seule et ça me tue. Il me manque, cette idée prend forme dans mon esprit, s'y impose, c'est précis, il me manque. J'ignore le nombre exact d'heures passées en sa présence...C'est trop mathématique. Les chiffres étouffent le sentiment, je trouve. Si on raisonne en calculant, on perd la notion des choses, leur vraie valeur, jusqu'à leur sens. Et je ne veux pas perdre cela. Je ne veux pas le perdre, lui. Alors je me souviens, je reconstitue les fragments de son visage, comme ceux d'un puzzle, ou d'un miroir brisé. J'en ai cassé un une fois, volontairement, d'un grand coup de poing. Mais proprement, la main dans un torchon, j'ai horreur du sang et ça fait mal. Autant que la sensation de manque? Je ne sais pas...
Sun, Sun, Sun. Adieu, Sun. Adieu... Je l'imagine disant cela, et ça me brise le coeur, comme le miroir, mais cette fois je saigne, abondamment. J'aurai dû lui dire quelque chose, pour les photos, n'importe quoi. Mais je ne pouvais pas, je n'y arrivais pas, c'était trop intime. C'était peut-être trop beau. Ajouter des mots aurait été de trop, les paroles gâchent les images, parfois. Je repense à son auto-portrait, et j'imagine le mien. Comment serait-il? En deux parties également. La première serait morte, teint pâle, lèvres bleues, regard vide. Et l'autre...vivante. Je veux étirer cette moitié sur toute la surface du cliché, rétablir la vie sur mon visage, et le revoir. Le revoir.

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