21/ Oiseau étrange

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Je passe les jours qui suivent enfermée dans ma chambre, comme avant. Le désir de revenir m'a propulsée hors de mon royaume. De souvenir, je suis devenue fantôme. J'erre. Lorsque je ne suis pas couchée, occupée à contempler les murs, je m'approche de la fenêtre, colle mes doigts contre la vitre. Au-dehors le ciel est gris. J'entends parfois ma mère, ses vas-et-viens continus, la porte qui claque. Je ne descend plus. Je n'ai pas le courage de la voir. Alors je reste, j'observe. Parfois je doute même que quelque chose ai changé. Je suis comme avant. Rien n'a bougé. Ma chambre est restée la même, à mon image.
Je dors aussi, ce n'est pas un vrai sommeil, mon corps n'est plus un corps, mais je m'éteins un peu. Je plonge, je ne pense plus et c'est bien, ça repose, et puis ça m'occupe. Ça passe le temps. Temps qui passe à reculons, au compte-goutte, il déferle sur moi avec la douceur de la bruine, je suis imperméable à son essence. Il ne marque plus ma peau. Je ne suis plus façonnable, j'ai pris malgré moi un recul qui m'en empêche. Ce n'est qu'une retraite précoce.
Je me sens proche d'abandonner, de renoncer, oublier mon but premier. Je veux toujours revenir, je ne cesserai jamais, mais je doute désormais que cela soit possible. C'est comme si je m'habituais, être fantôme me sied. J'erre et je perds mon temps, en un sens je suis bel et bien revenue, je fais tout comme avant. Mais j'ai une autre ambition, celle de changer les choses, de me changer moi, de saisir ma chance pour vivre différemment. Il me reste tant de choses à faire... Mais ce n'est qu'un mirage, mes voyages incessants n'apportent strictement rien, miroir-maison maison-miroir, le temps reste figé et je suis toujours morte.
Je dois chercher. Trouver au fond de moi un éclat de verre suffisamment coupant, violent, pour arracher ma peau et m'en faire une nouvelle. Voir le sang couler, enfin, un sang humain et vraiment rouge, un flux vivant. Je dois le sentir fluide et épais entre mes doigts, le voir tracer un sillon pourpre sur l'épiderme, et l'odeur aussi, celle qui se glisse sous les ongles, cette saveur cuivrée qui ne vous quitte plus. Je veux des veines battantes, un souffle de vie à faire tomber les arbres, à faire tourner la Terre. Retrouver cet sentiment d'urgence, la vie à toute allure, sans halte.
Je dois sortir. Si je veux vivre il faut changer, retourner la peau et émerger, une naissance, un autre moi. Je reconnecte mon corps, sentir mes membres, y répendre le mouvement. J'ouvre la bouche, réflexe de respirer, pas d'air. Plus jamais. Cette pensée me révulse, je me relève, je tremble sur mes pieds, j'ai erré trop longtemps. Partir est le plus dur. Sortir d'entre les murs, me traîner, les ongles qui crissent au bout des mains, la douleur, la détermination. Chaque pas en avant est une victoire, mais je sens comme une force qui m'attire en arrière. Tout me retient, tout me bloque, les mètres carré me freinent, c'est dur de s'extirper. Pas infaisable. Un pied devant l'autre, j'avance. Les déplacements varient, tantôt faciles tantôt ardus, parfois je flotte. Sinon je rampe, je tire tout mon être et ce n'est qu'à force de sueur que je parviens à me mouvoir. Je manque encore de coordination, mes mouvements ne s'emboîtent pas, mais je gagne en autonomie, je suis un fantôme mobile, malgré tout. J'atteins la porte. J'hésite un peu, l'ouvrir veut dire s'enfuir, abandonner mon cocon familier pour les vents du dehors. Mais je le dois, si je veux vivre.

J'ouvre.

La lumière m'éblouit, encore. L'appartement est vide, inondé de soleil. J'attends. La blancheur des murs résonne dans mon crâne. C'est comme s'il était vide. Comme lorsqu'on le quittera, qu'on en changera, on prendra tous les meubles pour ne laisser que l'or du jour entre ces murs. Pourquoi si vide?
Elle est partie. Je le sais, je le comprend. Elle est partie. Elle ne pouvait pas rester... Toutes ces heures enfermée, je ne l'ai pas entendue, je ne l'ai pas vue entrer, puis ressortir, décrocher toutes les affiches au mur, je ne l'ai pas vue. Je dormais, sans doute.
Sentiment de solitude, toute la gorge qui se serre, rien d'inhabituel. Elle est partie. Comment la retrouver? Impossible. Mais j'ai tous mes souvenirs, ils sont ici. Mon ange.... Oiseau étrange au bord du lit, ses ailes déployées sur les draps, retrouvera-t-il le chemin? J'ai peur de le perdre, de l'oublier, j'ai peur qu'il déménage aussi. Et s'il n'existait pas? S'il ne vivait qu'à travers moi, alors je ne le reverrai pas. Il est parti, lui aussi. Parti avec moi. Je m'assois, lentement. Je glisse au sol, je tombe sur le carrelage. Et l'éclat de tout ce vide me transperce les yeux, alors je les ferme, mais je suis toujours touchée, de l'intérieur, touchée au cœur. Transpercée.

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