16/ Il était une fois

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Je vais vous raconter une histoire.

"Il était une fois..."
Il était une fois une vie, une naissance. Un cri, le premier souffle, les premiers pleurs. Du bonheur, bien sûr, mais un bonheur éphémère, dont on ne se souvient plus. Puis du temps, des années qui s'écoulent. Le corps grandit, vieillit, il change. L'âme aussi, elle mûrit et se transforme, mais pas en bien, pas que. Il y a les blessures, les cicatrices invisibles, indélébiles. Des marques, quand on prend coup sur coup.
C'est l'histoire d'une enfant, une fille jamais adulte, qui grandissait sans grandir, qui rêvait et contemplait le monde de loin, comme à travers une vitre. Et cette fille était belle, cette fille était lisse, pure, comme faite de cristal. Comme épargnée. Puis un jour, elle mourut. Et ce jour-là seulement, elle commença à vivre.

Je dors. Je le sens, je le sais. Je dors et pourtant je suis consciente, je pense encore, mais difficilement, mes pensées s'articulent lentement et mon esprit est embrumé. J'évolue dans un monde sans pesanteur, je flotte dans l'air lourd, je me laisse porter. Je m'oublie, l'espace d'un instant. Avez-vous déjà vécu une expérience de sortie hors du corps? C'est peut-être ce que je vis maintenant. Ce que je vis depuis que...depuis que. Depuis ma mort, depuis le miroir, depuis l'hiver. Elles se produisent souvent au réveil, ces expériences, juste avant d'émerger, au moment où la couche qui sépare rêves et réalité est la plus mince. L'instant de grâce, l'instant de beauté, l'instant magique. Le moment où tout s'efface, la nuit, le jour, le sommeil et le futur réveil. Un autre monde. L'une des plus belles expériences, je pense.
C'est étrange. C'est intriguant. C'est beau aussi, ce besoin de s'évader, cette envie de se perdre dans l'univers. De quitter son corps, d'essayer autre chose. De ne plus être soi, l'espace d'un instant. C'est magnifique.
Qui seriez-vous si vous n'étiez pas la personne que vous êtes? Seriez-vous humain, encore? Ou animal? Je serais un oiseau, quelque chose de délicat, de volant, quelque chose qui vit pleinement. J'en ai recueilli un d'oiseau, un jour. Un bébé, une boule de plumes tremblante et vulnérable, tombée au sol. Oubliée, abandonnée. Il était si faible, il ne passera pas la nuit, et quelle chance y avait-il, pour que je le trouve là, pour que je le secoure, une nuit avant sa mort? J'appelle cela un miracle. Trop faible, trop faible. Je n'ai pas eu le coeur de le laisser, encore moins de l'écraser, "d'abréger ses souffrances". Et qui fait ça? Je ne veux prendre aucune part, ni dans sa mort ni dans aucune autre, je ne veux pas de sang sur mes doigts, pas de rouge à mon âme.
Je l'ai soulevé, délicatement, au ralenti, je ne voulais pas lui faire mal. Je l'ai serré doucement contre moi, j'entendais son coeur battre, vous y croyez? Affaibli comme il l'était, son pouls était affolé, je le sentais pulser contre mes doigts. Aux portes de la mort, blessés, abandonnés, nous avons encore peur. Nous sommes encore capables de ressentir le plus puissant et primitif instinct, celui de fuir. Ce jour-là j'ai compris quelque chose, quelque chose d'essentiel. Nous sommes les mêmes. Différents mais si proches, des êtres de chair et de sang, des créatures sous le soleil. Cet oisillon me l'a apprit, il me l'a enseigné: nous valons la peine d'être sauvés, nous valons la peine d'être aidés, et nous sommes nés pour craindre notre salut. Rien de biblique ou de mystique, juste un constat, un sentiment. Nous avons tous le même destin. Humain, ne pense pas que tu vailles mieux qu'un autre, vous mourrez tous deux à la fin. Nul ne peut être sauvé, et je continuerai à soigner les oiseaux blessés aussi longtemps que je le pourrai. C'est pour cela que je suis née, aussi. C'est une autre destinée que j'ai, parallèle à la première, mais celle-là je l'ai choisie. Et je la choisirait encore, si je le pouvais.
L'oiseau a grandit, il a reprit du poids, pour commencer, puis ses ailes ont guérit. Je ne me suis pas contentée de le nourrir, de le choyer, je l'ai apprivoisé. Tout craintif qu'il était, il finissait par me manger dans la main, se percher sur mon épaule et chantonner à mon oreille. Je suis persuadée qu'il composait, tel un musicien, et me fredonnait ses créations. Il en a sûrement écrites pour moi. Peut-être en trouverais-je les partitions un jour, cachées sous mon matelas, comme les photos de mon ange. Je l'ai apprivoisé aussi, celui-là. C'est une autre chose que je fais. J'apprivoise.

Merci à ceux qui ont lu jusque-là! Laissez-moi vos impressions en commentaire ;)

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