Le mur d'hommage

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Il y a de tout : des photos, des petits mots, des bougies, des fleurs.

Tellement de fleurs...

Le pire c'est qu'après toutes les larmes que j'ai versé, toute cette tristesse qui s'est déversée en moi, tout ce malheur qui m'a envahit le corps, je trouve encore un petit stock d'eau en moi pour pleurer. Et je pleure, sans m'arrêter. Le moindre doute sur le fait que mes amis sont morts est balayé en mur.

Et la douleur revient. Cette douleur abominable qui me hante depuis que je me suis réveillée et qui ne partiras sûrement jamais. Cette douleur qui part du ventre, telle une maladie qui vous tord les boyaux et dévore tout ce qui est autour d'elle. Elle vous arrive au cœur, puis au cerveau jusque vous rendre complètement folle.

J'aimerais tant qu'elle s'arrête, être heureuse comme avant. Mais voir tous leurs visages sur des photos entrain de rire ou de sourire tout simplement me fait terriblement mal.

Et je pleurs. Sans pouvoir jamais m'arrêter de verser encore et encore des larmes qui me brûlent les yeux.

Ryan s'agenouille à côté de moi et je lui prend la main. Il a l'air surpris. Mais j'ai soudain besoin de lui tel un enfant à besoin de ses parents pour le protéger. Comme si lui tenir la main m'aidait à surmonter les épreuves plus facilement.

Quand soudain mes larmes s'arrêtent. Une pensée me vient à l'esprit : ils sont tous là, sur ce mur. Ils nous regardent, Ryan et moi et semblent nous dire "Vous savez, on est bien ici".

Et Ryan aussi arrête de pleurer. Parce qu'on a senti la même chose.

Une présence, une brise.  Quelque chose nous traverse, lui et moi. Quelque chose de doux et de rassurant. J'ai beau ne pas croire aux fantômes, quelque chose de très mystique se passe. Tout mon chagrin s'envole pendant un instant.

-Tu as senti ?, me demande Ryan d'une vois tremblotante.

Sa main toujours dans la mienne, je hoche la tête.

-Il faut y aller, déclare t-il soudain brusquement. Cette endroit me fait flipper. Et puis il faut retourner à l'hôpital.

-Quoi ?! Attends ! Je ne veux pas retourner à l'hôpital. Ça sent la mort là bas.

-Ta mère va s'inquiéter. On y va.

Et sans me laisser le temps de réfléchir, il me fait rouler en direction de l'endroit que je déteste le plus au monde. Je proteste mais il n'écoute rien. Je fait la seul chose qui me passe par l'esprit : je me jette hors du fauteuil et rampe vers le mur.

-Morgane mais tu vas pas bien !, me crie Ryan.

Mais c'est à mon tour de faire la sourde oreille. Le gravier fait frotter ma chemise de nuit contre ma peau fragile, mais je m'en fiche. Mes jambes trainent derrière moi, tels deux boulets.

Ryan essaye de me retenir mais je lui mords la main ou lui donne des coups de coudes. Je suis un animal sauvage, mais personne ne me dirais quoi faire désormais.

-Lâche-moi ! Je veux retourner à ce mur et tu ne m'y empêchera pas !

-Laisse-moi au moins t'aider ! Tu vas te faire mal !

-Soit !

Et il part, voyant que je n'abandonnerai pas.

Je rampe vers le mur, et ma chemise désormais déchirée laisse passer ma peau qui frotte le sol. Je suis presque arrivée et je sens le regard des gens sur moi. Certains essayent de m'aider, mais après plusieurs tentatives ils lâchent l'affaire.

J'arrive enfin devant les bougies, les cartes et les mots, aux abris du regard des gens. J'arrive à mettre mes jambes allongées devant moi. Et je contemple.

Les cartes, les petits mots, les photos, les bougies.
Les photos surtout.

Ce ne sont même pas des photos clichées de la classe qui court dans un champs pleins de fleurs, non. Ce sont des photos simples, des photos de classe, même quelques selfies. 

Et son regard me frappe. Le regard de Kate. Elle a beau ne pas avoir été dans la même classe que moi, elle est sur toute les photos. Normal, j'y suis aussi et on ne se séparait jamais.

Elle semble tellement innocente... Mon dieu si elle savait seulement.

Il y a aussi une photo marquante, une photo que Caroline a prise, quelques heures avant la fusillade. Et sur celle-là, on est tous dessus. On regarde tous l'appareil photo, en essayant de se frayer une place sur le champ de la caméra. En dirait qu'on essaye tous de s'immortaliser avant de mourir.

Je sais que c'est mal, mais j'arrache la photo et la prend pour moi. Peut être qu'avec leurs regards tous les matins, j'arriverai à m'en sortir.

Il commence à faire nuit et je suis toujours dos au mur, mes jambes inanimées devant moi. Quand le souvenir d'un film, d'une scène plus précisément : Kill Bill, le premier film.

-Bouge ton orteil, dis-je en fixant mon gros orteil droit. Bouge ton orteil.

Je met toute mes forces, toute ma volonté et toute ma concentration dans cet orteil. Je répète la même phrase sans cesse, ordonnant à mon corps de bouger, ne serait-ce qu'un orteil.

Et après plusieurs longues minutes, ce dernier ce met à bouger. C'est impossible à voir, pour ceux qui ne regardent pas. Mais moi je le vois.

-Bien. Maintenant on va faire bouger tout les autres.


13 heures plus tard


Je replie mes jambes, appuie mes deux mains de chaque côté de mon bassin et me relève. Je me relève sur mes deux jambes.

Et je marche.


Wake me up when it's too lateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant