Chapitre 9 - Chair et siamois

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« Connaissez-vous
Ce sentiment d'abandon ?
Ce sentiment de trahison ?
Le connaissez-vous réellement ? »

Baekhyun avait les paupières qui tombaient. Ce n'était pas par fatigue, il se laissait simplement à cette ambiance de doute et de réflexion qui occupait l'habitacle. Il avait relâché son corps et s'était appuyé sur la portière, le visage presque contre la vitre. Il avait mal au crâne et était de nouveau pris par des sueurs froides. La fièvre était revenue et il avait le cœur serré malgré tout. Il lui semblait que le silence devenait trop long, que le silence de Chanyeol n'était là que pour éviter de parler de ces choses, de ces « évènements ». Pouvait-on encore appeler cela des évènements ? Baekhyun n'en était plus sûr.

Ils passèrent le long d'un bois, celui qui s'étendait jusqu'au village où ils habitaient. Baekhyun ne regardait pas Chanyeol, il regardait à travers la fenêtre le paysage qui passait comme un film à sa droite. Les pensées l'assaillaient. Le bruit de ses vêtements s'étouffa dans l'intérieur de la voiture lorsqu'il se tourna afin de regarder devant lui. Il se racla la gorge.

- Je t'aime, Chanyeol, dit-il après un long moment.

La main de Chanyeol glissa sur le volant, l'autre sur le frein à main et le clignoteur tiqua.

- Je sais, Baekhyun.

Le regard de Chanyeol était resté concentré sur la route, mais Baekhyun remarqua la tristesse qui dessinait son visage dans le rétroviseur.
Il s'en voulait terriblement d'agir ainsi avec lui. Il s'en voulait de l'emmener dans tout cela. Il lui semblait que si Chanyeol n'avait pas été à ses côtés, il aurait au moins été le seul à souffrir. Mais c'était déchirant, c'était comme si leur chair était reliée, et que plus il souffrait, plus elle se resserrait, et plus ils en souffraient à deux. C'était comme une partie d'eux attachée l'une à l'autre, comme si au final, ils étaient constitués d'un seul et unique corps. Baekhyun songea à des siamois, et il s'en voulait de se rendre compte d'une chose pareille aussi tardivement. Huit ans qu'ils étaient ensemble et ils avaient eu le temps de fondre ensemble, de fusionner à tel point qu'ils vivaient chaque chose comme si elle leur arrivait personnellement. Si Chanyeol souffrait, Baekhyun aussi. Si Baekhyun, souffrait, Chanyeol aussi.

Baekhyun n'avait pas l'expérience de l'amour. Jamais il n'avait vécu auparavant ce sentiment, ces émotions que l'on ressentait lorsqu'on était amoureux. Jamais il n'avait pu avoir une petite idée de comment il fallait agir avec l'être aimé, alors il le faisait à sa manière, comme il l'apprenait doucement. Et avoir vécu dans ce monde obscur n'y avait rien arrangé, cela avait détruit ses bons sentiments, cela les avaient réduit en cendres. Il était passé par la haine, la peur, le dégoût, la honte, la tristesse, mais pas par la joie, l'amour, la sécurité. Alors il avait l'impression qu'il était comme un accidenté à qui on réapprenait petit à petit à marcher. Baekhyun vivait en couple depuis huit ans sans avoir pu goûté à une amourette adolescente. Cela signifiait passer de rien à une relation sérieuse sans base, sans rien. C'était compliqué, c'était complexe.

Chanyeol était son premier amour et il lui semblait aussi le dernier. Baekhyun savait au fond de lui que si un jour Chanyeol et lui n'étaient plus amoureux, il ne saurait plus jamais aimer quelqu'un. Il ne trouverait pas quelqu'un d'aussi patient et compréhensif, d'aussi attentionné et généreux. Il savait que personne ne pourrait le remplacer et qu'une rupture le détruirait. Ce côté-là de lui était fragile, c'était son côté sensible.

Alors c'était vrai, il s'en voulait de ne pas prendre soin de Chanyeol comme il le fallait, de ne pas savoir comment agir dans ces moments-là. Il savait répondre à son amour quand il le lui demandait, par un baiser, un geste, un regard, un sourire, mais quand arrivait le moment où rien ne le guidait à part sa tristesse, il était perdu. Avant, quand il était au plus mal, personne n'avait pris soin de lui, personne ne lui avait montré indirectement comment il devrait faire à l'avenir. Si quelqu'un était venu, alors qu'il avait seize ans et qu'il venait de perdre ses parents, qu'il venait de perdre sa vie toute entière, si cette personne lui avait pris la main lorsqu'il pleurait intérieurement, il aurait su le perpétrer. Il aurait su, en plus de reconnaître la tristesse, la soigner ou la panser. Il aurait su qu'il fallait regarder Chanyeol dans les yeux, le prendre dans ses bras et lui dire que tout irait mieux. Il aurait su que caresser doucement sa main l'aurait réchauffé, que lui sourire sincèrement aurait guéri un peu cette douleur qui l'accablait.
Mais Baekhyun ne savait pas. Il était maladroit, ne faisait que reconnaître la peur et la tristesse sans pouvoir y remédier. Il ne pouvait pas dire que tout irait mieux, peu importe à quel point cette phrase encourageait, car il se résignait à se faire de faux espoirs. Il préférait s'attendre aux mauvaises choses, les appréhender, les reconnaître et les refouler ensuite.

Envol d'un papillon de nuit [TOME 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant