18. Flashback

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Quelques mois plus tôt.

« Tiens, bois ça. »

Sur ces paroles, Manon me tend une tasse de thé bien chaude. Je la saisis, tout en essayant d'offrir un léger sourire à ma meilleure amie. Elle se met à souffler doucement sur le liquide chaud que contient son propre récipient. Je croise son regard furtivement. Elle m'observe de façon neutre. Sans jugement, sans pitié dans son expression. Je prends une grande inspiration avant de prendre une gorgée du breuvage qu'elle m'a préparé. Elle attrape un des oreillers de mon lit et le cale dans son dos pour être bien à l'aise.

« Vas-y, lâche tout une bonne fois pour toute. »

Sa phrase, si directe, fait naitre un vrai sourire sur mes lèvres. Manon a été là pour moi depuis ma rupture brutale avec Nico. Elle m'a laissé du temps. Énormément de temps d'ailleurs pour que je puisse m'en remettre et réfléchir par moi-même sur les derniers évènements. Ce que j'ai fait. Même si ça a été difficile et douloureux, ce fut une bonne chose. Maintenant, elle veut certainement que je partage mon analyse avec elle. Et je suis prête à le faire.

« J'ai tout repassé, dis-je. Et j'ai fini par voir ce que tout les autres avaient vu avant moi, y compris toi. J'ai vraiment été conne avec Nicolas. Et naïve. Et aveugle. Il s'est servi de ... »

Ma voix se brise, ma gorge se serre et les larmes commencent à couler d'elles-mêmes sur mes joues. C'est encore compliqué pour moi d'en parler. Quand vous passez deux ans avec une personne et que vous finissez par réaliser qu'il se servait de vous, c'est assez dur à encaisser. Je ne rigole pas. Je ne me fais pas d'idées. C'est réellement ce qui est arrivé. Quel petit copain digne de ce nom vous laisse deux semaines, voire trois semaines, sans nouvelles et revient comme une fleur, l'air de rien ? Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Il suffit de voir comment cela s'est terminé : il m'a trompé pendant des semaines avec une autre fille, jusqu'à ce que je le découvre par hasard. Et il m'a jeté. Ce fut rapide et douloureux. Aucune nouvelle depuis.

« Sophia, murmure Manon. Il n'a pas été correct avec toi, c'est certain. Mais, ce n'est pas de lui dont je veux parler. C'est de toi. Je sais bien que ce n'est pas facile à entendre, mais... On t'a prévenu. Moi et pleins d'autres d'ailleurs. Pourquoi tu penses que tu n'as rien vu ? »

Son ton reste doux tout du long de son discours. Elle ne me juge pas, elle ne m'accuse de rien. Elle cherche juste à me faire ouvrir les yeux sur moi-même. Et, croyez-moi, il n'y a bien qu'elle qui est capable d'avoir de telles conversations avec moi. Je sais que Manon ne me critique pas, elle souhaite simplement m'aider.

Elle réitère sa question, toujours pleine de douceur envers moi.

« Pourquoi tu n'as rien vu ? »

Je respire un bon coup.

« Je n'en avais pas envie, je commence. Je n'ai pas voulu écouter toutes ces petites voix dans ma tête qui me prévenaient. C'était plus simple de ne pas écouter ce que je ressentais plutôt que de faire face à la réalité. Alors j'ai fait profil bas et je suis restée comme ça. »

Et voilà, c'était dit. Bien sûr que j'avais eu des soupçons sur Nicolas. Sur moi-même aussi d'ailleurs. Je m'étais posée énormément de questions sur mes sentiments. Quand je voyais des relations d'amour dans des films ou dans des livres, je me disais que ce n'était pas du tout ce que je vivais avec mon petit ami. Nous n'avions pas de complicité magique ou cette envie d'être ensemble souvent. Mais j'ai préféré ne pas écouter ce que je ressentais, je me suis dit que notre relation était normale et que c'était ainsi que c'était censé se passer. Je me pince les lèvres. Je commence à comprendre où est-ce que Manon veut en venir.

« Pourquoi tu n'écoutes pas ce que tu ressens ? Demande mon amie. Ce n'est pas la première fois que ça t'arrive, loin de là. Tu te rappelles quand tu voulais arrêter la gym ? T'en avais marre, t'en pouvais plus, tu pleurais après chaque entraînement. Et tu n'as rien dit pendant des mois parce que tu avais peur que ta maman t'en veuille d'arrêter. »

J'avais 10 ans, à l'époque. Ma mère avait été excellente en gymnastique lorsqu'elle était jeune et j'avais peur de la décevoir en ne partageant pas sa passion. J'avais fini par le lui dire et elle avait parfaitement compris d'ailleurs. Cependant, j'avais mis énormément de temps à lui en parler et j'en avais beaucoup souffert. Manon poursuit.

« Et la fois où Ariane t'a proposé de partir avec elle en Italie. Tu rêvais de ce pays depuis des années. Tu as refusé. Parce que t'as flippé. Sophia ... »

Elle m'attrape les mains et les serre avec affection. Je suis contente qu'elle soit là. Lorsque je vais mal, comme ces temps-ci, elle semble perdre son côté fou et excentrique pour ne se concentrer que sur moi et mes soucis. Alors qu'au quotidien, elle est une véritable pile électrique qui bouge dans tous les sens, elle peut devenir très patiente lorsque la situation le demande. Elle se remet à parler.

« Tu n'écoutes pas tes envies. Ni ce que tu ressens. Tu restes dans ta zone de confort, sans prendre de risques. Peut-être que ça va te convenir toute ta vie et que tu seras heureuse de cette façon, mais il faut que tu comprennes que tu ne peux pas tout gérer. Tu ne peux pas contrôler le hasard, l'imprévu. La vie est faite de surprises auxquelles tu ne t'attends pas. Et si tu prends peur et que tu fuis au lieu de te battre pour ce que tu veux, tu vas passer à côté de choses vraiment formidables. »

Je continue de pleurer. Ce qu'elle dit ne me blesse pas. J'en ai conscience depuis longtemps. Et j'ai envie de changer cela. Moi aussi, j'ai envie de prendre des décisions sur un coup de tête, j'ai envie de faire taire les pensées qui me parasitent sans cesse, j'ai envie de ne plus ressentir de peur et de profiter de l'instant présent sans imaginer ce qui va se passer ensuite. Cependant, j'imagine que c'est plus facile à dire qu'à faire.

« De quoi as, tu envie Sophia ? Là, maintenant ? »

Je relève la tête, plonge mes yeux dans les prunelles brunes de mon amie.

« J'ai envie de respirer. De m'éloigner de tout ça. D'être seule et de pouvoir m'écouter. Moi et uniquement moi. »

Un sourire de satisfaction se dessine sur son visage.

« Alors, pars. Pas définitivement bien sûr. Mais organise toi un voyage à l'étranger. Tu pourrais découvrir un autre pays et surtout, tu pourrais te découvrir toi-même. »

Je lâche un petit rire. Moi ? Partir ? Toute seule dans un pays que je ne connais pas ? Est-ce que je serais vraiment capable de faire ça ? De me gérer seule ?

« Stop ! S'exclame Manon. Je suis certaine que tu es déjà en train de te poser mille questions. Fais taire toutes ces pensées tout de suite et ne répond qu'à cette question : est-ce que tu en as envie ? »

Est-ce que j'ai envie de partir ? Loin d'ici, loin de mes problèmes ? Oui. Je hoche la tête timidement. Mon amie sourit.

« Très bien. Où ?

- Le plus loin possible, je réponds.

- Ok. L'Australie ?

L'Australie ? Une partie de moi s'emballe et je peux presque déjà m'imaginer seule sur place, à visiter des musées que j'aurais envie de visiter. À faire rien que des choses que j'aurais envie de faire sans que personne ne vienne influer mes décisions. Cette pensée, simple, je vous l'accorde, me transporte littéralement. C'est de ça dont j'ai envie. Faire ce que je veux et vivre comme je l'entends. Mais... L'Australie ? Toute seule ? Est-ce que ce n'est pas dangereux ?

« Sophia ... » souffle Manon.

Allez Sophia. Secoue toi un peu. Vis. Découvre. Profite. Voyage. Part à l'aventure. Ris. Souris et laisse toi porter par le flot de tes envies. Tu peux le faire. Je sens mon cœur s'emballer tandis que je commence à parler.

« D'accord. Je veux partir en Australie et je vais le faire ! »

Manon m'offre un large sourire avant d'ajouter :

« Et je te demande de profiter de chaque opportunité qui s'offrira à toi. Eclate toi, construis toi des souvenirs géniaux et surtout, ne te laisse pas brider par la peur. »

J'acquiesce. Je peux y arriver. 

5 secondes de plusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant