Chassés-Croisés

Chapitre 19 - Point de vue de celui qui est super mal bar'

Quand la situation trouve encore le moyen de se compliquer

Le rire de Lancelot se traduisit par un grand frisson dans l'épine dorsale de Iolar. Il avait déjà le sentiment d'avoir touché le fond en rencontrant le démon, il avait soudain l'impression que la situation empirait. Pour l'heure, tout ce qu'il souhaitait était s'enfoncer dans le canapé et rêver devant le café bien fumant qui trônait sur la table basse et dont personne ne semblait disposé à s'occuper. Il y eut un court silence pendant lequel il eut la sensation que le fameux John le passait aux rayons X, avant qu'il ne se décide enfin à prendre la parole.

« Bien, si vous me disiez un peu ce qui me vaut l'honneur de votre visite. »

Iolar sentit Lancelot remuer à sa droite pour se rapprocher de son interlocuteur.

« A vrai dire, nous aimerions savoir ce que vous pourriez nous apprendre là-dessus. »

Et Lancelot tendit la main devant les yeux de Iolar, attendant vraisemblablement qu'il y dépose le carnet. Ce dernier tenta désespérément de se recroqueviller, comme s'il cherchait un moyen de disparaître définitivement de la circulation. Jusqu'à ce que Lancelot pousse un profond soupir d'ennui et lui demande.

« Tu tiens vraiment à ce que je vienne le chercher ? »

Iolar se sentit rougir violemment, se tourna vers l'incube avec un regard aussi noir que possible, et lui tendit le carnet en tremblant, prenant autant de soin que possible de ne pas regarder les réactions de sa victime de la veille. Et il repartit dans sa contemplation du café fumant de la table basse, s'attendant à chaque instant à voir le carnet apparaître juste à côté. Sauf qu'au lieu de le poser tranquillement à portée de main, Lancelot trouva bizarrement plus approprié de le lancer à leur vis-à-vis qui, par bonheur, le rattrapa sans aucune difficulté ni même en froisser la moindre page, mais qui le fit sursauter violemment, aussi bien à cause de l'attachement qu'il éprouvait pour l'objet que pour le peu de respect qu'on lui montrait. Et le fait que le démon s'affale à côté de lui sur le canapé, passant un bras sur le dossier dans son dos au passage, avec le bruit ridicule du cuir frottant sur du cuir, n'eut que peu d'impact sur ses nerfs en comparaison.

Le silence qui suivit ne lui laissa envisager rien de bon. Il s'imaginait le dénommé John dévisager tour à tour le carnet et les deux invités qu'il avait si cordialement fait entrer chez lui – même si sa manière de laisser des inconnus entrer chez lui était déjà légèrement inquiétante dans un vaste appartement où il n'avait encore vu aucune fenêtre laisser filtrer un peu de lumière extérieure et où il savait que des invités étaient encore en train de dormir aussi tard – ainsi que les probables conséquences qui allaient suivre, soit partant sur une baston monumentale, soit simplement qu'il allait appeler les flics et régler l'affaire définitivement. D'une manière ou d'une autre, il ne s'attendait absolument pas à entendre un grand éclat de rire retentir dans le silence pesant qui régnait sur le salon. Suivi aussitôt par celui de Lancelot juste à côté de lui. Iolar leva un regard intimidé vers l'un et l'autre, curieux et inquiet de savoir ce qui pouvait les faire marrer dans une situation aussi complexe. Avant de baisser les yeux tout aussi rapidement en constatant que John le fixait.

« Très bien, au moins un peu de franchise, je pense que je pourrai m'en accommoder. Qu'est-ce que vous voulez savoir au juste à propos du carnet ? L'auteur ? Le siècle ? »

Iolar avait l'impression très désagréable que les questions lui étaient posées à lui directement, et non pas à Lancelot qui avait pourtant engagé la conversation. Il haussa les épaules. Après tout, il connaissait déjà les réponses. Mais Lancelot s'était tourné vers lui également, et il se retrouvait malgré lui le centre de l'attention générale.