Chapitre 33

2.7K 194 41
                                    

Ana

Lorsque la voiture s'engage sur un petit chemin de terre sinueux, mes yeux s'ouvrent subitement. Je pensais somnoler légèrement, mais je me suis finalement endormie. Forcée de constater qu'en l'espace d'une vingtaine de minutes, le paysage urbain de Denver s'est effacé au profit d'une jolie campagne, bordée par des vignobles à perte de vue.

Mon regard s'attarde sur la dizaine d'habitations en pierre que l'on croise, organisées autour d'un bâtiment plus imposant. Et malgré un après-midi déjà bien entamé, personne ne semble vouloir profiter du temps agréable de cette journée. Puisque si je fais abstraction des quelques agriculteurs dans les champs que j'ai pu apercevoir, aucun autre villageois ne se trouve à l'extérieur.

L'absence évidente de circulation permet à Nathan de se garer le plus proche possible de ce qui doit être la gare, qui occupe la position centrale du village. Ce qui m'étonne, en temps normal c'est plutôt une église qui occupe cet espace. La religion n'est probablement pas le centre des préoccupations des habitants.

En dépit d'un cadre de vie agréable, la distance conséquente qui les séparent des grandes villes retarde le développement des petits villages comme celui-ci. Alors davantage centré sur un commerce de proximité, qui doit profiter aux agricultures du coin.

L'apparition soudaine de deux petites têtes blondes sauvages devant ma fenêtre me fait hoqueter de surprise. La main sur le coeur, j'observe les yeux jaunes pétillants des deux enfants, qui trépignent d'impatience de me voir ouvrir la portière. Camerown, le plus jeune, toque un nombre incalculable de fois contre la vitre, jusqu'à s'attirer un regard désapprobateur de Nathan qui l'incite à prendre ses distances avec la voiture.

L'appréhension ne me quitte pas, alors je saisis mon sac à dos tout en m'extirpant de cette boîte métallique étouffante. Dehors, les enfants s'empressent de m'enlacer, même si l'aîné ne perd pas pour autant de temps, et se dépêche de me libérer à la vue simple vue de Nathan qui s'approche.

- Ana ? Une voix familière m'interpelle.

Je lève lentement les yeux au-dessus des garçons, pour découvrir Kyle adossé au mur de la gare, les mains dans les poches. Harry ne tarde pas à le rejoindre, nous saluant d'un signe de la tête sans plus de formalités. 

Mais lorsque la petite main chaude de Camerown se glisse dans la mienne, ma gorge se noue. Dans le même temps, ma bouche s'assèche tout aussi subitement, et mon sang se met à battre violemment mes tympans sous la pression croissante.

Nauséeuse, je repousse le bambin tout en me précipitant à l'intérieur de la gare en prétextant comme excuse une envie pressante. Évidemment, je ne trouve pas de boutique d'appoint dans une gare perdue au beau milieu de la campagne. Seulement des toilettes publiques, dont l'odeur pestilentielle me fait presque tourner de l'oeil.

Je m'engouffre dans la première cabine sans réfléchir, et me laisse glisser le long de la porte, la tête entre les jambes. Comment ma vie peut-elle être aussi catastrophique ?!

- Putain, putain, PUTAIN ! Je m'exclame crescendo, frappant de mon pied la cuvette des toilettes à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'elle se fende en deux.

L'eau ne tarde pas à se répandre rapidement sur le carrelage déjà sale. D'un geste de la main, je l'empêche de m'atteindre en l'envoyant vers la cabine voisine. Même si le fait de fracasser les toilettes ne suffit pas à soulager ma frustration exacerbée.

Alors, je serre ferment le poing droit pour le cogner contre la fine paroi qui me sépare de l'autre cabine. Pas suffisamment fort pour passer à travers, mais avec suffisamment de volonté pour faire exploser les canalisations.

Pourtant je ne suis pas plus avancée. Je ne me sens pas mieux, et encore moins soulagée. Augmenter la pression de l'eau dans les canalisations pour les détruire de l'intérieur ne m'a pas apaisée. 

C'est en essuyant machinalement ma joue d'un revers de la main que je comprends que mes larmes coulent désormais librement. Ma frustration a finalement trouvée une façon de se libérer d'elle-même. Contrariée par mon propre comportement, je donne un coup de tête contre la porte derrière moi qui me fait grimacer de douleur.

- Sale petite conne pleurnicheuse. Je marmonne, m'insultant à voix haute décidément trop dépassée par les événements.

Et lorsque je sens un liquide chaud couler à l'arrière de ma nuque, je continue de marteler ma tête contre la porte, en maugréant :

-Je sers PUTAIN à rien ! Je suis PUTAIN de faible !

Ma vision brouillée par les larmes, je serre finalement mes bras contre mon ventre comme pour me protéger. Et laisse tomber ma tête sur mes genoux, faisant un effort considérable pour retrouver une respiration normale. Je dois penser clairement si je veux trouver une solution à ma situation.

La paume de ma main sur le ventre, j'essaie de percevoir les flux dans mon corps. Si je suis incapable de me soigner, distinguer une variation due à une grossesse doit être à ma portée. Me concentrer, je dois juste me concentrer.

J'inspire profondément, et commence à distinguer très partiellement les différents flux. Ils sont trop agités pour bien les différencier, alors j'oblige mon corps à retrouver son calme, et un rythme cardiaque acceptable.

Moins de cinq minutes passent lorsque je peux enfin percevoir les principaux flux vers mon coeur. Les yeux plissés, je continue de chercher la moindre anomalie pour confirmer les dires de cet enfant. Mais dans l'immédiat je ne trouve rien... si mon rythme cardiaque est plus élevé que d'habitude.

Non, non, non. Je suis fatiguée et stressée. C'est un symptôme basique de l'anxiété. Pourtant, je peux clairement sentir mon volume de sang croître lentement, comme pour répondre aux besoins d'un fœtus... 

- Stop, stop. On stop la psychose. Je grogne, secouant la tête de gauche à droite pour me ressaisir. 

Appuyée à la porte, je me redresse en séchant mes joues. J'enlève le verrou, je dois sortir de là, et me laver le visage. Même si l'un d'entre eux me pose une question, je peux simplement mentir et...

- Kyle ? Je murmure, la voix rauque étouffée par ma main lorsque j'aperçois le garçon, adossé contre l'unique fenêtre de la pièce, l'air grave.

- Le sang... j'ai senti l'odeur de ton sang.  Répond simplement le blond, tandis que ses yeux jaunes passent de mes joues rougies par les larmes, avant de s'arrêter sur mon ventre.

__________________________________________ 

Tome 2 Ω Sang-Mêlé Ω VengeanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant