Chapitre 3

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Le réveil sonne, tonitruant et entêtant, agaçant et insistant : il est 7 h. L'heure d'aller travailler. Je n'ai dormi que quelques heures, occupés que nous étions à nous rapprocher hier soir. Et, forcément, de fil en aiguille, nous avons tricoté une couette pour nous pelotonner dessous jusqu'au matin. Au souvenir de la nuit que nous venons de passer, je souris et me tourne vers lui. Mon regard ne croise que le relief d'un oreiller solitaire. Je me redresse d'un bond pour constater ce que je craignais : il est parti. Encore.

Sans vouloir y croire, je me lève et me dirige vers la cuisine, espérant malgré tout le trouver là, à boire son café. Mais rien. En fait, si, sur la table de la cuisine, un petit déjeuner a été préparé avec soin : bol, café, cuillère, sucre, pain, confiture, beurre et, même, croissants chauds ornent la table. Petite mise en scène adorable mais où l'ingrédient le plus important manque : où est mon amant ? La réponse se trouve sur le petit post-it jaune coincé sous mon bol de café : 

Merci pour cette

merveilleuse soirée.

Akio

Folle de rage, je prends le temps de manger convenablement, de me préparer soigneusement. Minutieusement, je rassemble mes affaires et mes armes : je sors la carte de visite de ce lâche, l'observe. Je repère sur une carte l'adresse qui y est inscrite. Elle se trouve à l'opposé de mon lieu de travail. Tant pis, je prendrai mon après-midi. L'avantage d'être son propre patron.

Après une matinée assez désastreuse, cause étant de mon état d'esprit, je rentre brièvement pour déjeuner et me changer. Le temps est au beau fixe en ce mois de juin, j'opte donc pour une robe patineuse légère, en soie bleue nuit, ornée de dentelles aux épaules et à la ceinture et d'escarpins noirs à petits talons. Une fois parée, je choisis de prendre les transports en commun, pour éviter les embouteillages. Par chance, peu bondé à cette heure, le métro m'amène vite à bon port. Ce à quoi je ne me suis pas préparée, c'est la taille du bâtiment accueillant l'entreprise Stryacorp, où son PDG siège avec arrogance : gigantesque. Voici le seul adjectif qui lui convient. Haut d'une vingtaine d'étages, je me demande si tous sont consacrés à cette entreprise, apparemment destinée au transport de marchandises.

Nonobstant ce détail, je me décide à entrer. Je pénètre donc, d'un pas déterminé, dans le hall où m'attend une hôtesse d'accueil, très affairée à entretenir ses ongles. Croisant les doigts, je me mets à espérer qu'elle n'envoie pas les vigiles me mettre à la porte. Misant tout sur l'audace, je m'adresse à elle d'un air hautain, convenant parfaitement à l'endroit :

– Le bureau de Monsieur STRYA Akio, s'il vous plaît. 

Me jetant à peine un regard, elle m'indique le 22e étage accompagné d'un mouvement de tête vers l'ascenseur. Soulagée, je pénètre dans la cabine et ce n'est qu'une fois les portes refermées que la peur commence à enserrer mon cœur : comment va-t-il réagir en me voyant débarquer ? Trop tard pour faire demi-tour à présent, il faut assumer. Lorsque les portes coulissantes s'ouvrent enfin sur l'étage redouté, c'est une secrétaire vieillissante, d'une soixantaine d'années et dotée d'un regard acéré, qui m'accueille. Ses vêtements stricts, ses lunettes en demi-lune et son chignon classique me font penser à Granny de la série « Once Open A Time ».

– Que puis-je faire pour vous, mademoiselle ? 

Je tente de prendre une voix la plus assurée possible en lui montrant la carte de visite d'Akio.

– Je souhaite voir cet homme. 

Après l'avoir observée un instant, la vénérable secrétaire prend le temps de me regarder des pieds à la tête avant de me répondre, un sourire étrange sur les lèvres :

MétamorphosesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant