Métamorphoses

Chapitre 12

La vie, au fond de l'océan, est plus douce que jamais. Je ne me pose aucune question. Mon instinct pallie mon manque d'expérience. En manquant de me faire dévorer par un requin-taureau, je prends conscience que je peux influencer les actes de ces animaux. De tous les animaux marins, à vrai dire. Le petit requin-renard que j'ai sauvé s'est d'ailleurs entiché de moi et reste constamment à mes côtés. Je l'ai baptisé Jumpy car il est toujours surexcité. En souhaitant échapper à un piège humain, j'apprends qu'il m'est possible de contrôler l'eau. Créer un tourbillon ou un courant est d'une facilité déconcertante. Je finis par me débarrasser de mon bikini. Ces bouts de tissus verts me gênent dans mes mouvements, se prennent dans les algues ou les rochers et le sable s'y infiltre désagréablement. Démêler mes cheveux est une vraie plaie. Je comprends à présent l'émerveillement d'Ariel en découvrant une fourchette. Pourtant, c'est un peigne on ne peut plus classique, trouvé dans une épave, qui m'aide grandement. Il lui manque quelques dents mais remplit admirablement son office. La vie est simple ici. J'ai trouvé une grotte à demi inondée, près d'un récif. Lorsque je suis fatiguée, je m'y endors, à l'abri des prédateurs. La température y est presque toujours égale. Lorsque j'ai faim, je mange. Parfois du poisson, parfois des algues ou des crustacés. Tout a une appétence différente, ici. Mon palais, exceptionnellement fin, détecte les saveurs délicates de chaque aliment.

Un soir, alors que je me prélasse sur un rocher, aux abords d'une crique déserte, un bateau s'engage dans la minuscule anse. C'est un yacht noir de taille relativement modeste, semblant plus miser sur la vitesse. Ses bruyants moteurs se stoppent et, rapidement, un homme monte sur le pont pour jeter l'ancre. Je soupire. En voilà encore un qui va se faire un malin plaisir à massacrer le paysage avec ses détritus. Je me lève et m'apprête à sauter à l'eau lorsque l'humain m'interpelle. Habituellement, je n'y aurais pas prêté attention. Pourtant, quelque chose dans sa voix et son ton m'arrête.

— Lise ! Attends !

Comment m'a-t-il appelée ? Debout sur mon rocher, je le fixe. Torse nu, vêtu uniquement d'un bermuda noir, son corps athlétique ne me laisse pas indifférente. Ce visage, carré et volontaire, me plaît énormément. Son regard océan, emprunt d'un mélange de soulagement et de tristesse, me cloue sur place. Sautant à l'eau, il s'approche de moi lentement. Je le regarde avancer avec méfiance. Que me veut-il ? Je suis prête à plonger. Je ne veux rien avoir à faire avec ces humains belliqueux.

— Ça fait des semaines que je te cherche. S'il te plaît, reste. Je ne souhaite que te parler. 

Ce disant, je le vois s'asseoir sur un rocher, à quelques mètres de moi. Sa voix est douce. Il semble avoir peur de m'effrayer et cela m'amuse. Soit. Qu'il parle.

— C'est moi. Kyle. Tu te souviens ? 

Je ne réponds pas. De quoi suis-je censée me souvenir exactement ? Son visage m'est familier. Sa voix basse me fait frissonner d'anticipation. Mais je suis une créature de la mer. Je ne connais rien des humains. Pourquoi celui-ci serait-il différent des autres ? Intriguée, je descends du rocher et m'approche de lui avec prudence. Comme statufié, il ne bouge pas. Il m'observe attentivement, les bras posés sur ses genoux relevés. L'eau, peu profonde à cet endroit, arrive au niveau de mon ventre. Je pose les mains entre ses jambes et me penche sur lui. Ses yeux parcourent mon corps avant d'accrocher mon regard. Il me désire mais n'ose toujours pas faire un geste dans ma direction. Je m'en amuse et décide de le taquiner. Un sourire aux lèvres, je me hisse sur le rocher, caresse ses cuisses musclées. Ses poings se serrent. Il semble lutter pour ne pas me toucher.

— D'où me connais-tu, humain ?

Il semble surpris de mes paroles. Enfin, ses doigts s'approchent de mon visage, longent ma mâchoire pour se perdre dans mon cou. Sa caresse est tendre, elle me touche en plein cœur, tout comme ses mots.