Partie 11

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" Suivez la sortie 4 puis prenez la deuxième à gauche, vous nous laisserez au bord du chemin en terre battue ..."

Arrivés au camp, une odeur infecte me pique la gorge, des émanations putrides me soulèvent le cœur. Des cabanons faits de tôles, des tentes éparses, un sol boueux, jonché d'ordures et d'excréments. Je reste bouche-bée face à ces conditions de vie... Comment peut-on passer devant cela sans s'en indigner : ce n'est pas possible qu'au 21ème siècle on accepte que des êtres humains dans un pays comme la France vivent ainsi... Mais qu'est-ce que je raconte, même les animaux ont un meilleur traitement, il suffit de voir au zoo, ils sont bien mieux traités...

Je n'ose même pas imaginer quelle genre de vie on peut mener dans ce décor agonisant... Après la guerre et autres horreurs, voilà dans quel environnement ces hommes et ces femmes tentent de se reconstruire, et d'ouvrir un avenir à leurs enfants...

Cette petite jungle doit certainement être infectée de toutes sortes de bactéries, l'hygiène n'était probablement pas à la portée de toutes ces personnes, en quête de dignité, on ne peut pas imaginer ou comprendre cela sans y avoir mis les pieds...

Süleyman, me dit avec un regard très gêné et plein de honte

"Je suis désolé j'aurai aimé ne jamais vous faire vivre cela, une femme de votre classe n'a rien à faire dans ce bourbier de la misère humaine ... "

A ces mots, un sentiment de honte m'envahit littéralement... comment à deux pas de ces temples de la consommation, nous pouvons vivre dans l'ignorance ou l'indifférence ! J'en oublie presque Süleyman, je suis terrassée par cette vision d'horreur, au-delà de l'image dans les médias, je sens cette odeur de détritus, je constate les conditions misérables ... Ce n'est plus quelque chose d'abstrait, je me rend témoin de la misère humaine, je la touche du doigt, elle est là devant mes yeux. Je vois un enfant pas plus haut que trois pommes, les cheveux hirsutes, courir pieds nus dans la boue. Son regard croise le mien et je peux lire la terreur dans ses yeux, comme un chien qu'on aurait tellement battu qu'il craindrait la seule vision du bâton. A ce moment, je ressens comme une envie de hurler, mon indignation se traduit par des larmes de colère...sommes-nous en France ? Sommes-nous encore digne de cette Déclaration des droits de l'Homme ?

Face à ce spectacle de la déchéance humaine, mon esprit erre tel un fantôme sur un cimetière abandonné ... Le livre de Stephane Hessel "Indignez Vous !" que je viens de lire il y a peu raisonne comme une claque, j'ai souvenir du chapitre "L'indifférence : la pire des attitudes "

"C'est vrai, les raisons de s'indigner peuvent paraître aujourd'hui moins nettes ou le monde trop complexe. Qui commande, qui décide ? Il n'est pas toujours facile de distinguer entre tous les courants qui nous gouvernent. Nous n'avons plus affaire à une petite élite dont nous comprenons clairement les agissements. C'est un vaste monde, dont nous sentons bien qu'il est interdépendant. Nous vivons dans une inter connectivité comme jamais encore il n'en a existé. Mais dans ce monde, il y a des choses insupportables. Pour le voir, il faut bien regarder, chercher...

La pire des attitudes est l'indifférence, dire « je n'y peux rien, je me débrouille ». En vous comportant ainsi, vous perdez l'une des composantes essentielles qui fait l'humain. Une des composantes indispensables : la faculté d'indignation et l'engagement qui en est la conséquence."

Égarée dans mes pensées devant ce désastre, je reviens à moi, par les appels à répétition de Süleyman :
"Sarah, Sarah ... Vous m'entendez ? On descend ici ..."

A peine descendus de la voiture nous entendons des cris, les CRS tentent de contenir les défenseurs des droits aux réfugiés et des altermondialistes venus faire barrage à l'évacuation des réfugiés ...

Le dernier trainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant