Tribu : La légende des clans [Tome 1]

Chapitre treize (1/2) ✅

Le duo s'était engagé dans la forêt depuis une bonne dizaine de minutes. Pourtant il leur en fallut quelques unes de plus pour s'apercevoir que les bruits de poursuite et ceux de la ville endormie s'étaient tu depuis un bon moment déjà. D'un coup d'œil rapide, Diana constata avec soulagement qu'ils étaient seuls et que comme elle se l'était figurée lorsque l'idée lui avait traversé l'esprit, leurs poursuivants n'avaient pas cherché à les suivre. Sûrement impressionnés par l'obscurité naturelle de la forêt qui en décourageait plus d'un. Pourtant, si ils avaient eu un peu de courage, ils auraient pu les rattraper sans trop de mal.

La Forêt Sombre, comme l'indiquait son nom, était connue pour ses ténèbres omniscientes. Cette particularité, n'en déplaise à certain, ne trouvait pas son explication dans une légende ou des raisons mystiques. L'obscurité constante des bois trouvait sa source dans la végétation qui le composait. En raison de la composition du sol et de la météo plutôt humide, les seuls arbres qui pouvaient y pousser s'étiraient vers le ciel pour finir par se recourber sous leur propre poids et celui de leur feuillage vert sombre. C'est cela qui donnait à la forêt cette ambiance lugubre, marécageuse presque morbide qui avaient inspiré certains à lui attribuer toute sorte de légende pour expliquer les origines de la forêt ou se servir d'elle comme un lieu de prédilection pour un récit horrifique.

Alpha et Diana entendaient des sons nocturnes qui ne les dérangeaient aucunement dans leur trajet. Ils entendirent un hibou boubouler au loin et des insectes à proximité d'une source d'eau qui s'écoulait lentement dans la froideur de la nuit. Ils repérèrent un emplacement sous deux arbres jumeaux qui leur paraissait assez « confortable » pour y passer la nuit.

Tous deux descendirent du dos du cheval qui les avait porté jusqu'ici. Le prince laissa la monture sans harnais faire quelques pas avant de se reposer à même le sol. Les deux jeunes gens ne tardèrent pas à l'imiter eux aussi gagnés par la fatigue des derniers événements. Mine de rien, tout ce qui venait de leur arriver était peu banal. Pour Alpha, il était arrivé à Nataway aujourd'hui même, aussitôt suivit de la recherche, la découverte de la bibliothèque et la poursuite. D'ailleurs, en y repensant, le jeune homme pensa à un détail.

Il se souvient du regard de la princesse anatolienne lorsque celle-ci avait reconnu les armoiries de l'ambassadeur montaudréen. Il avait beau se travailler les méninges, il ne comprenait pas ce qu'un émissaire étranger venait faire dans cette histoire. Et surtout un montaudréen.

- Comment cela se fait-il que vous connaissiez l'ambassadeur montaudréen ? questionna-t-il en rassemblant quelques minces brindilles.

Diana par réflexe avait commencé à en faire de même et sa main droite était entièrement prise par un « bouquet » de petits bois. Elle s'arrêta instantanément de chercher lorsque le prince posa sa question. Dans des gestes lents et étudiés, elle commença à rassembler son butin qui servirait de base à leur feu de camp.

La question du prince était loin d'être anodine. Elle se gronda mentalement d'avoir lâché une information aussi cruciale dans la panique, sans prendre la mesure des répercussions qui allaient suivre son acte. Personne n'ignorait le sort qu'avait subi le peuple montaudréen. Ils étaient reclus à l'est du continent, sans armées, exclus par les deux autres tribus, catalogués comme un pays et un peuple de traître. Le prince devait se douter que si un personnage si important du royaume de la troisième tribu avait fait sa rencontre, il y avait de fortes chances que cela se soit passé en Anatolie. Pour conclure, l'Anatolie trafiquait quelque chose avec la Montaudréanie. Ça, Alpha ne mettrait pas longtemps à faire le lien.

Elle avait fui sa patrie, c'était vrai. Et en y réfléchissant plus à fond, elle n'était pas non plus pour la destruction massive du peuple bellevuain, et ça, c'est ce que son père projetait quelque part. Mais par ailleurs et surtout, elle n'était pas une traîtresse ! Il était donc hors de question qu'elle explique la principale raison de la venue de Cromway en terre anatolienne.

Elle et Alpha devaient devenir coéquipier pour le bien de leur mission, mais une fois encore l'Anatolienne préférait jouer la carte de la méfiance et de la prudence.

- Cela n'a pas d'importance, balaya-t-elle. Tout ce que vous avez besoin de savoir, c'est que Cromway se trouve être... notre ennemis, lâcha-t-elle sans l'affronter du regard.

Prononcer le « nôtre » au lieu du « mon » habituel, lui écorchait la bouche bien plus qu'elle ne l'aurait pensé.

- C'est lui qui a tué Ilya Yang, mon précepteur, révéla-t-elle à demi-mot. Et je pense qu'il est lui aussi à la recherche de la dague.

D'un coup, Diana fit apparaître une étincelle qui atteignit le tas de bois et bientôt, un maigre feu apparut devant leurs yeux. Alpha se contenta de l'alimenter tout en ruminant dans son coin sans mot dire.

Encore une fois, la belle brune refusait de se dévoiler davantage et lui cachait des choses. Mais au moins, elle l'avait mis au courant de l'existence de cet antagoniste. Il pouvait se contenter de cette information pour le moment, même si au fond, une part de lui craignait la suite de leur aventure. Quand est-ce que Diana arrêtera une bonne fois pour toute de se méfier de lui ? Et si ils ne pouvaient pas être amis, peut-être devaient-ils au moins essayer d'être coéquipier, de vrais coéquipiers. Visiblement, c'était mal parti. Tant que Diana ne baissait pas la garde, ils seraient condamnés à espionner les moindres faits et gestes de l'un et de l'autre, et de penser à l'éventualité de continuer seul chacun de leur côté leur route.

Si elle était capable d'être aussi cachottière avec lui, alors que cachait-elle d'autres ? Il n'avait pas menti dans la maison de Nataway. Il ne lui était jamais venue l'idée que l'Anatolienne puisse être un ennemi féroce. Et même encore maintenant, il avait du mal à envisager cette éventualité. Peut-être était-ce son côté peu patriotique qui prenait le dessus. En tout cas, si il voulait rester en vie, il allait devoir se fier plus aux faits qu'à son instinct.

- Pourquoi avoir choisi la Forêt Sombre ?

- Quoi ? interrogea Diana sincèrement étonnée par la question.

La princesse avait trouvé sa place près du feu de camp à l'opposé de la position du prince, cela va s'en dire et commençait à se composer une couche de fortune avec son manteau.

- Votre réflexe, toute à l'heure... quand on nous poursuivait... Vous m'avez dit de me diriger vers la Forêt Sombre. Comment cela vous est-il venu à l'esprit ?

- Je connaissais son existence et lorsqu'ils ont commencé à nous suivre, j'ai regardé le paysage. C'est là que j'ai vu qu'elle était proche de notre position... La carte, ordonna-t-elle.

D'abord étonné par ce changement de sujet soudain, le jeune homme âgé de dix-huit ans se contenta de la regarder avec de gros yeux, ce qui fit souffler la brune qui lui donna pour complément d'information, qu'elle parlait de la carte que le mage leur avait donné dans la bibliothèque.

Plus réveillé, le châtain sortit de ses effets la carte du mage et l'étala à proximité du feu. Diana ne tarda pas à se poster à ses côtés pour voir davantage de quoi il en retournait.

La carte qui leur faisait face, ne leur disait absolument rien du tout. Le papier datait de plusieurs siècles à en juger sa teinte mise en évidence par la lumière orangeatre du feu. Des montagnes, des vallées, des noms de lieux dans une langue qu'aucun d'eux ne sut traduire sur le moment. Les lieux non plus ne leur disait rien. Impossible de se repérer sur cette carte, la géographie avait l'air d'avoir totalement changé sur ce bout de papier.

- Mais qu'est-ce que ça veut dire ?

- Pourtant, cela a l'air clair, rétorqua la princesse. Cette carte doit sûrement dater de l'Ancien temps ou même un peu après, juste après l'Attaque des Monstres.

- Qu'est-ce qui vous fais dire cela ?

- Regardez, guida-t-elle. Le désert de Soum n'apparaît nul part donc cette carte n'a rien avoir avec notre siècle. Et surtout les inscriptions. C'est une langue ancienne, mais pas de l'anatolien, ni du montaudréen...

- Ni du bellevuain, compléta Alpha.

- Je pense qu'il s'agit de la langue originelle, la première version de l'unitas. Il y a des variantes de l'ancien anatolien et montaudréen que je reconnais, mais pas assez pour les traduire complètement cependant, se désola-t-elle.

- Regardez, montra Alpha en pointant du doigt un dessin au milieu de la carte, qu'il n'avait pas repéré plus tôt.

Ce dessin à lui tout seul représentait beaucoup. Il s'agissait d'une arme et pas de n'importe laquelle.

- J'ose espérer, que ce soit...

- La dague, termina Diana avec emphase. Il s'agit d'une dague et c'est certainement la dague légendaire.

- Mais nous ne sommes toujours pas plus avancé que tout à l'heure, fit remarquer le Bellevuain. Tout ce que nous voyons c'est... rien, elle pourrait se trouver au sud, tout comme au nord de notre position. Et à l'est, tout comme à l'ouest.

Les remarques pessimistes d'Alpha ne faisaient qu'accentuer le mépris qu'elle éprouvait déjà à son égard. Parallèlement, l'envie de démentir ses propos grandissait en elle, mais hélas, elle ne disposait d'aucune information lui permettant de le faire. Elle devait donc se creuser un peu plus les méninges.

Diana observa à nouveau la carte vieille de plusieurs milliers d'années. Mais cette fois-ci, elle se concentra sur les îles environnantes. Elle fouilla dans sa mémoire l'Histoire de son peuple. Thibéi était une île appartenant au royaume Anatolien. Son nom venait de l'ancien anatolien et signifiait littéralement : « Été éternel ». Thibéi avait été découverte aussi pendant l'Âge d'Or donc son premier nom était en premier unitas, la langue commune aux trois tribus. Donc, par traduction, le nom sur la carte qui se rapprochait le plus de Thibéi était...

- Nargumeï, souffla-t-elle.

C'est avec bonheur qu'elle constata que sa traduction approximative apparaissait bel et bien sur leur seul guide vers la vérité. Mais elle n'avait pas terminé.

- Votre carte, demanda-t-elle au jeune homme. Celle qui vous a permis de venir jusqu'à Nataway.

Alpha s'exécuta à nouveau et lui tendit le parchemin qui lui ne souffrait pas de problème de traduction. Il s'agissait d'une carte banale du continent des trois Royaumes, qu'elle et lui connaissaient bien. Diana superposa sommairement les deux cartes, et à l'aide d'une sphère lumineuse créa un effet de transparence en la mettant en dessous des deux cartes. Les multiples noms de lieux se mêlèrent créant une confusion totale sur la carte qu'Alpha se contenta de regarder. Diana savait ce qu'elle faisait et il préférait attendre la fin du processus avant d'émettre le moindre commentaire. Une fois la superposition parfaite atteinte, l'Anatolienne prit un bâton et fit un petit trou à l'endroit où se trouvait la dague.

- Voilà le travail, dit-elle en montrant la carte de leur continent trouée. Alors, où devons-nous, nous rendre ?

- Nous devons nous rendre... au temple du Soleil, apparemment.

- Je n'en ai jamais entendu parlé.

- C'est un petit temple. Il est connu pour son calme et être un endroit de passage fréquent.

- Il n'y a pas de villes aux alentours ?

- Excepté Soum que vous devez déjà connaître, il n'y a rien.

- Quoi qu'il en soit, nous devons passer par le désert.

- Mais cela ne peut se faire sans une réelle préparation. Le désert sans vivre, c'est la mort.

- Nous réglerons cette histoire demain, conclut Diana en se couchant sans attendre l'avis de son coéquipier.

Encore une fois, Alpha se trouva les bras ballants. Il se demandait pourquoi la jeune femme ne s'inquiétait pas plus que ça de la prochaine étape qui les attendait. Le désert de Soum n'était pas connu pour sa clémence et la présence même du mot « désert » dans leur itinéraire suffisait à l'effrayer. Il n'avait jamais traversé de désert, mais il connaissait assez bien ce que les gens en disaient. Entre les tempêtes de sable, la chaleur mortelle, les brigands et les clans nomades qui pouvaient facilement s'attaquer à deux voyageurs sans histoire, il ne donnait pas trop cher de leur peau. Il y avait sans aucun doute une alternative.

- Peut-être pouvons-nous regagner la Bellevuannie et de là, nous rendre en Montaudréanie et puis nous rendre au Temple du Soleil, proposa-t-il en examinant la carte.

- Non, répondit sa coéquipière qui n'était pas encore complètement endormie.

- Et pourquoi cela ?

L'Anatolienne dans un ultime effort, se redressa sur sa couche et d'un ton las et agacé répliqua :

- Dois-je vous rappeler que je suis Anatolienne et que vous êtes recherché en Bellevuannie ? De plus, cet itinéraire est beaucoup trop long. À ce rythme, on aura fini toute la bourse que le gardien nous a confiée. Couper par le désert est bien plus rapide.

Sur ces mots, elle se recoucha.

- Vous n'avez pas peur que nous mourions avant même d'être arrivé à destination.

- C'est notre destin, parait-il. Pourquoi est-ce qu'on devrait périr avant de l'accomplir ?

Cette dernière phrase convainc à moitié Alpha, mais suffisamment pour qu'il aille dormir. Malgré tout, il n'était pas totalement rassuré, destin ou pas. Il pressentait que le désert de Soum, lui réservait des surprises, des surprises qu'il n'était pas prêt à découvrir.