Épilogue.

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Il n'y a aucun bruit. Même les oiseaux se sont tus. Ressentent-ils eux aussi la tristesse dans ce silence religieux ? Le vent ne se laisse pas entendre non plus. Il effleure juste doucement la nature, dans la plus grande délicatesse. Il caresse les feuilles de l'immense hêtre, dont l'ombre s'étire au sol, le tout dans la lumière dorée du soleil qui commence à se coucher.

Le banc de béton situé près du tronc est occupé par un jeune homme. Ses yeux sombres sont perdus dans le vide. Ou peut-être bien qu'il fixe une tombe un peu plus loin. Le vent souffle doucement sur ses cheveux, qu'il défait. L'homme ne les remet pas en place. Il demeure immobile. On pourrait croire à une statue, mais deux larmes qui dévalent le long de ses joues trahissent le fait qu'il soit vivant. Il est vivant dans un endroit mort. Et cette idée le morfond. C'est la mort qui le torture. Il n'arrive pas à vaincre cette souffrance. Il la laisse imprégner ses veines, son corps et son esprit. Elle ne le quitte jamais. Il ne peut pas la chasser. Il est dévasté. Son univers a complètement explosé. Désormais, il n'en reste que les ruines qu'il contemple, amèrement, se confortant dans un passé qu'il chérissait dans la crainte du futur.

Il vient, tous les soirs, depuis sept jours exactement. Une semaine avant, ils étaient plus nombreux. Tous habillés de noir. Lui aussi. Il était derrière toutes ces personnes. Il tremblait, de peur, de rage, de désespoir. Il se souvient de tout. Il ne peut rien oublier.

Ce jour-là, les yeux remplis de larmes, les épaules affaissées et le cœur meurtri, il n'osait pas relever les yeux. Il l'avait fait quelques secondes auparavant, un bref instant, mais cela avait suffi à le hanter. L'image ne le quittait pas : le cercueil qui sombrait dans la terre. Les larmes avaient repris. Il sentait les regards sur lui. Certains pinçaient les lèvres en le voyant, d'autres posaient brièvement leur main sur une de ses épaules, ou lui murmuraient des messages de compassion. Il était jeune à leurs yeux, trop jeune pour souffrir ainsi, trop tôt pour se voir arracher la personne à qui il tenait. Mais ce n'est pas lui qui souffrait le plus. Il savait que c'était elle. 

Elle, qui désormais avait préféré fermer les yeux à jamais. Elle, dont l'ultime force avait été de dire adieu à ce monde par elle-même. Elle, qui souffrait tellement, et qu'il n'avait jamais réussi à sauver. Et il s'en voulait atrocement. Il pensait toujours à elle. C'était de sa faute si elle s'était suicidée.
Maintenant, ils étaient à jamais séparés, en apparence par quelques mètres de terre, mais au fond par un gouffre composé du néant, de la mort qui efface toute preuve physique de ceux qui vous font sourire. 

Alors qu'il était appuyé contre la silhouette de son meilleur ami, il sentit une main passer autour de sa taille. Il se retourna. Les deux dernières personnes qui lui restaient étaient là. C'était rare qu'ils soient tous les trois réunis. Il ne l'aurait jamais voulu dans ces circonstances. Ses parents le prirent dans ses bras. Au milieu de cette affection soudaine, qui ne repousserait la tristesse qu'un court instant, le jeune homme de dix-neuf ans semblait en avoir dix de moins, si fragile dans les bras de ce qui l'avaient tenu une première fois quand il était venu au monde. Il étaient là quand il était né, ils étaient là quand une partie de lui se mourrait.


Il est en train de perdre. Cela se reflète dans les regards inquiets que posent souvent ses proches sur lui. Les cernes sous ses yeux trahissent sa fatigue. Il ne dort plus. Il angoisse. Il pense à elle. À l'injustice. Pourquoi elle ? Elle était si jeune... Il la pensait heureuse avec lui... Mais il ne maîtrise rien. C'est pour cela qu'il déteste la mort. Car personne ne peut la maîtriser. On peut la combattre, mais un jour, elle aura le dernier mot. Elle portera le coup de grâce, et dévastera l'univers que vous laissez derrière vous.

Chaque nuit, il fait des cauchemars. Il a peur de la mort, qui pourrait le rapprocher de tout ce qu'il a perdu. Il est terrifié à l'idée de perdre ceux qui lui restent. Il vit dans l'angoisse d'un vivant pour un futur sinistre.

La théorie des montagnes russes - Tome 1.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant