Chapitre 2 : Rivière

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Arthémis se souvenait parfaitement de cet après-midi-là, celui de l'accident. Il faisait particulièrement beau, elle se rappelait les rayons du soleil qui se reflétaient sur le cours d'eau. Elle nageait dans Le Serpent, ainsi nommé pour ses nombreux virages, accompagnée d'Aurora, de Julien et de Thomas qui restait toujours sur la berge.

Thomas lisait tranquillement sur le banc pendant que les trois autres nageaient ou tentaient de s'extirper de l'eau en bondissant pour saisir les branches pendantes du saule déjà majestueux à cette époque. Parfois le calme se faisait dans l'eau, chacun attendait qu'un poisson passe dans leurs mains ouvertes pour l'attraper. Tout ceci n'était qu'un jeu pour des enfants de 11 à 13 ans, ils relâchaient leurs prises tout de suite après leurs captures et s'amusaient avec l'innocence de leur âge. Ils avaient joué à s'arroser ce jour-là, trempant la berge tout autour d'eux et même un peu Thomas qui les avait sermonnés en leur rappelant que les livres et l'eau faisaient ensemble un ménage désastreux. Julien était plutôt aventureux, il s'était hissé sur un petit rocher au bord de l'eau et avait sauté. D'ailleurs il s'était plutôt bien réceptionné au début, l'eau lui arrivait en dessous des hanches et il semblait avoir repris son équilibre sans problème... Mais ça n'était pas le cas.

Au début heureux, son visage avait pris une expression de surprise lorsque le sol s'était dérobé sous ses pieds. La roche du fond du Serpent était par endroit couverte d'algues gluantes sur lesquelles on glissait très facilement. L'eau cristalline n'avait pas permis aux jeunes yeux d'éviter ce spectacle effroyable qui avait défilé comme au ralentis : Julien était tombé en arrière, son corps s'était immergé entièrement sans qu'il ait vraiment eu le temps de prendre sa respiration et sa tête avait heurté l'une des nombreuses roches qui empierraient la rivière. Une myriade de bulles avait éclatée à la surface et un filet de liquide rouge s'était rependu dans l'eau pure.

Tous les enfants étaient pétrifiés. Pourquoi Julien ne se relevait pas ? Il allait manquer d'air ! Et d'où venait tout ce rouge ? Pourquoi il ne bougeait pas ?

Heureusement, Aurora s'était mise à crier, alertant Thomas. En voyant la scène sous ses yeux il n'avait pas hésité, pas même une seconde : déposant son livre et son téléphone portable à toute vitesse, il avait couru jusqu'à l'eau où il avait sauté, pataugeant jusqu'à son ami et le sortant au prix de nombreux efforts du piège mortel dans lequel il s'était jeté. Il avait endigué l'hémorragie avec son pull resté plié sur le banc et avait composé le numéro des secours. Un beau camion de pompier rouge flamboyant était arrivé en à peine quelques minutes et Julien avait pu être sauvé grâce au sang-froid surprenant de Thomas qui avait réagi comme s'il s'y préparait depuis des années.

Quelques jours après sa sortie de l'hôpital de la ville voisine, Julien et ses trois amis avaient été convoqués par le maire qui leur avait fait la leçon : La rivière n'était pas interdite à la baignade pour rien, c'était très dangereux et ils avaient eu beaucoup de chance de tous s'en être sorti. Bien sûr, Arthémis n'en était pas à sa première réprimande, Clara lui avait hurlé dessus une bonne demi-heure, se navrant de sa bêtise et lui répétant qu'elle était bien comme son père avant de lui administrer une gifle magistrale et de la consigner dans sa chambre jusqu'au repas de ce soir-là.

Thomas avait reçu une décoration offerte par la ville pour son courage et son sang-froid ayant tout de même permis d'éviter une horrible catastrophe. Deux mois après cela, Le maire et sa famille déménageaient d'un côté du pays pour des affaires de familles alors que Julien et la sienne partaient de l'autre après une mutation commune des parents du foyer.

Depuis, Arthémis ne s'était plus baignée dans la rivière. Après cet accident, plus personne n'avait pris le risque d'aller y faire quelques brasses. Parfois même des écoles lui demandaient de venir raconter son histoire aux classes de jeunes pour bien leur montrer que ce n'était pas juste une interdiction en l'air. Le rocher sur lequel Julien avait pris appuie pour sauter avait été retiré et l'herbe avait recouvert le lieu coupable mais Elle savait encore exactement où se situait la pierre.

Sa mémoire en était gravée à jamais.

L'homme au livre [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant