Minuit

23K 1.1K 695
                                    

La pièce était sombre et froide. Dans l'air flottait l'odeur des vieilles pierres, de la poussière, du passé mort et d'un avenir qui l'était tout autant. Si la décadence avait une odeur, ce devait être celle-ci...

Etendu sur le dos, les yeux grands ouverts, Drago visualisait le baldaquin noyé dans l'obscurité. Et les dizaines d'araignées qui y vivaient depuis des générations. Un peu comme les Malefoy... Si ce n'était qu'elles devaient avoir un peu plus de vitalité, elles.

Exaspéré par ses pensées absurdes, Drago soupira. Son souffle lui renvoya l'écho d'une chambre immense et vide. Le plafond devait culminer à six mètres de hauteur. Tout ça pour quoi ? Il ne trouvait même pas la réponse...

A côté de lui, sa femme, Astoria, dormait. Il ne pouvait pas la voir, mais il devinait la clarté laiteuse de sa peau, ses cheveux lunaires que le moindre éclat ravivait. Il entendait sa respiration calme, régulière, gracieuse jusque dans son sommeil. Il pouvait sans problème l'imaginer blottie dans les draps, complètement nue, enlacée comme dans les bras d'un amant, un amant de tissu et de soie, à défaut d'un mari de chair et de sang.

« Une attaque à ta virilité... T'as raison, il ne manquait plus que ça. »

Drago prit une grande inspiration pour calmer l'afflux de sang qui montait à ses joues, mais plus que jamais, il prit conscience de la présence d'Astoria auprès de lui. Astoria l'écrasait. L'odeur de la pièce se mêlait à son parfum, lourd et capiteux, qu'elle portait même pour dormir comme pour s'en recouvrir. Un poison sirupeux qui se frayait un chemin jusqu'à ses bronches, entrait en lui et contaminait tout, l'asphyxiait, refermait sur lui les murs de leur mariage désastreux. Drago avait besoin d'air ; il devait respirer.

Il se leva et s'enfuit de la chambre. En refermant la porte sur lui, il ne se sentit pas mieux. Le manoir grinçait à son contact comme s'il était un rat frayant dans son trou. Même après toutes ces années, il mit du temps à se repérer.

Eh oui, tu n'es plus un enfant, Drago...

Après son mariage, ses parents avaient exigé de lui qu'il abandonne sa chambre d'adolescent. Elle n'était plus assez bien pour lui maintenant, ce n'était pas convenable. Les rites de passage devaient se marquer dans la chair et dans les lieux. Mais Lucius Malefoy étant encore en vie, la chambre de maître lui revenait toujours. Aussi avait-on octroyé à Drago et à sa femme nouvellement acquise la plus grande de toutes les chambres d'amis.

Aujourd'hui encore, cela ne lassait pas de le faire rire. Il fallait bien rire, pour dissimuler le vide en lui... C'était comme s'il était un invité dans sa propre vie.

Drago remonta les couloirs qu'il haïssait et qu'il n'avait pas choisis. Le Manoir était suffisamment grand pour lui faire perdre la notion des distances et du temps. A l'heure qu'il était, son ancienne chambre d'enfant lui semblait aussi éloignée physiquement qu'elle l'était mentalement. Epoque révolue... Son souvenir distordu se dressait parfois, déformé, au détour des couloirs labyrinthiques.

Drago descendit plus de marches qu'il ne pouvait en compter, dans l'obscurité complète. La connaissance intuitive des lieux ne lui procurait aucun sentiment de chaleur ou de familiarité, comme aurait dû le susciter la demeure où il avait vu le jour. Chaque pierre était comme l'entassement des erreurs que sa famille avait accumulées depuis des siècles. Il sentait leur poids peser sur lui, à chaque seconde. Un sournois sentiment de claustrophobie...

Arrivé dans une pièce immense qu'ils appelaient le petit salon, la lumière de la lune le cueillit à travers les baies vitrées. Il courut presque pour les ouvrir, et enfin, il sortit sur la terrasse, à l'arrière de la maison, à l'aplomb du jardin à l'anglaise qui déployait ses buis monstrueux. Serpents, silhouettes de dragons, armoiries de la famille... Il était content qu'il fasse nuit. C'était la pleine lune, mais les ombres diluaient les formes dans un mystère bienvenu, un entre-monde où sa vie n'était pas aussi tracée que ses parents l'avaient voulu. Dans les ténèbres, le silence et la solitude de la nuit, il était qui il voulait. Il était lui.

A Coeurs Perdus (Dramione)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant