Le musée

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Le musée commençait à se vider, en cette soirée pluvieuse. L'exposition avait attiré de nombreux curieux, poussant les gardiens à redoubler de vigilance. Chacun d'entre eux arpentait son secteur, s'assurant que tous les visiteurs avaient quitté les galeries. Le plus affairé, mais néanmoins consciencieux dans son travail, était David. Le jeune asiatique était étudiant en archéologie et son travail au musée lui permettait de rester proche de sa passion.

Alors qu'il poursuivait son inspection, il aperçut une femme dans la section consacrée aux peintures de la Renaissance. Elle avait franchi le cordon de sécurité et contemplait l'une des œuvres. Il la vit effleurer un coin de la toile.

− Hey ! Il est interdit de toucher aux œuvres ! cria-t-il.

L'étrangère eut un léger sursaut avant de pivoter dans sa direction. Ses cheveux châtains en bataille retombaient sur un ample manteau beige qui couvrait une tenue gâtée par le temps.

− Pardonnez-moi, mais mes lunettes ont été cassées, cette après-midi, et je voulais voir cette dernière toile avant de partir.

Elle se tourna de nouveau vers la peinture et glissa sa main gauche dans sa poche. Elle murmura des paroles que David, qui s'approchait d'elle, ne put entendre.

Je t'invoque, Hécate, déesse des enchantements et de l'illusion.

Je t'en conjure, manifeste l'objet de mon imagination.

Une légère lueur émergea de la poche. Elle en sortit une paire de lunettes qu'elle tendit au gardien alors qu'elle repassait de l'autre côté du cordon.

− Vous voyez ! Et sans elles, je ne peux rien admirer en détail.

− Je comprends, mais cette interdiction s'applique à tout le monde, Madame.

− Vous ne faites que votre travail. Puis-je partir ou y a-t-il quoi que ce soit que je doive faire pour...

− Vous pouvez y aller. Mais soyez prévoyante. Vous devriez emporter une seconde paire avec vous.

− Oui, vous avez raison, sourit-elle. Bonne soirée !

− Vous de même, la salua-t-il d'un ton qui se voulait toujours sérieux.

Il la regarda s'éloigner avant de reprendre sa ronde. À peine avait-il fait quelques pas qu'il s'arrêta, fronçant les sourcils. Il se retourna et posa son regard sur l'œuvre qui avait intéressé l'inconnue. Il haussa les épaules et reprit son service. Il stoppa de nouveau sa marche. Il était, cette fois, certain d'avoir entendu un son grave, comme une voix masculine sans pour autant qu'aucun mot ne lui soit parvenu.

Il s'avança lentement vers le tableau, franchit le cordon de sécurité et se retrouva face à la peinture. Il l'examina dans les moindres détails sans vraiment savoir pourquoi. Celle-ci représentait une jeune femme munie d'une paire d'ailes d'un blanc immaculé. Elle baignait dans une lumière éclatante qui provenait du haut de la toile. Se souvenant du fragment sur lequel l'inconnue avait posé sa main, il porta son attention sur le coin inférieur gauche du tableau. L'ange y tenait une sombre sphère transparente. Il approcha son visage pour mieux l'apprécier. David posa sa main sur la boule peinte pour la sentir du bout des doigts. Puis, comme s'il voulait la saisir, il appuya totalement sa paume sur l'image de la sphère.

Brusquement, il sentit sa main se refroidir. Il tenta de la retirer du tableau. Il ne parvint pas même à la bouger d'un millimètre. Sa respiration devint saccadée. Les battements de son cœur s'accélérèrent. Il chercha l'un de ses collègues du regard. Personne. La sensation glaciale se propageait en lui. Il voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Son visage reflétait désormais la peur, la peur de l'inconnu, de ne pas savoir ce qui allait arriver. Tout à coup, ses yeux s'écarquillèrent. Ce qu'il distinguait de la sphère se fissurait au sein de la toile. La lumière divine qui illuminait l'ange s'assombrit pour finalement disparaître. Des brûlures apparurent sur ses ailes et sur sa peau si parfaite. Le phénomène finit par consumer la totalité de l'être mythique. David était horrifié. Il était à présent immobilisé en quasi totalité. Seule sa tête répondait encore à sa volonté.

La sphère éclata en morceaux. Le tableau ne se mit subitement à vibrer. Il était devenu complètement noir. Une sombre lueur s'y esquissa tandis que les tremblements de la toile s'amplifiaient. Les lampes qui éclairaient la galerie éclatèrent. Un vent glacé se leva. Cette sinistre atmosphère inspirait la terreur au vigile. Les fenêtres furent soufflées vers l'extérieur avec violence alors que les vitres protégeant certaines œuvres s'effondraient sur place. Les plantes entreposées dans l'allée se fanèrent dans l'instant. Les vibrations du tableau provoquèrent des lézardes dans le mur avant que le silence ne retombe quelques secondes sur les lieux. La quiétude du moment fut rompue par d'insupportables hurlements rauques et aigus à la fois. Brusquement, une forme grisâtre et vaporeuse présentant un substitut de visage émergea de la peinture. Elle alla à toute vitesse se loger en David. Ce dernier fut propulsé vers l'arrière avec violence. Il heurta le mur faisant face à la toile.

Alors qu'il était à terre, un bruit de talons claquant le sol retentit dans la galerie. Le gardien leva difficilement les yeux vers l'origine de ce son. Il reconnut aussitôt la femme qu'il avait interpellée un peu plus tôt, mais elle paraissait, cette fois-ci, bien plus féminine.

− Bienvenue parmi nous ! lui dit-elle d'un demi-sourire.

− C'est toi qui as permis mon retour ? demanda David d'une voix plus grave et assurée qu'auparavant.

− En effet. Mais vous me remercierez plus tard. Partons d'ici. Pouvez-vous marcher ?

− Il y a longtemps que je ne me suis pas servi d'un corps humain, mais je devrais pouvoir m'en sortir.

Il s'éleva dans les airs et se redressa avant de poser les pieds au sol. Il amorça une marche incertaine, suivant l'inconnue vers la sortie.

− Comment se fait-il que personne ne soit venu ? l'interrogea-t-il.

La femme resta silencieuse. David finit par obtenir une partie de la réponse lorsqu'il découvrit une dizaine de cadavres à demi déchiquetés dans le grand hall.

− La magie ? demanda-t-il sans surprise.

− Des harpyes, répondit-elle avec calme.

− Je n'ai jamais fait appel à elles. Ce sont des créatures infidèles.

L'inconnue le regarda du coin de l'œil avant d'écarter les bras d'un geste ample. La double porte de l'entrée principale s'ouvrit. Elle se referma d'elle-même dès que les deux compères furent dehors.

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