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Elle se réveilla dans une maison tremblante de calme. Oui, c'est exactement l'impression qu'elle eut lorsqu'elle ouvrit les yeux. Un silence assourdissant qui vibrait partout autour d'elle, comme un bruit désagréable, un battement d'ailes de moustique dont on n'arrive pas à se débarrasser la nuit. Elle maugréa, devinant à l'avance qu'elle allait passer une mauvaise journée. Elle eut un pincement au cœur à cette pensée, et à l'écoute de ce silence qui lui était si familier. En effet, à la maison, celle qu'elle avait quitté, c'était toujours pareil. Il y avait ce vide de partout, cette absence accrochée au mur comme les photos que ses parents accrochaient pour donner l'image d'une famille heureuse. Mais cet effort était vain, ce n'était qu'un vaste mensonge. Comme lorsque l'on pousse la poussière sous son lit ou dans un endroit où personne ne pourra le voir. Leur famille heureuse n'était qu'une vaste mascarade. Certes, Narcisse était impulsive, mais pour partir comme ça, d'un coup, sans même un regard en arrière, il fallait qu'il y ait un problème. Il y avait quelque chose de bancal dans cette famille à l'allure parfaite. Elle n'était pas partie, elle s'était échappée. Elle fuyait cette routine effrayante, et désormais, allongée dans son lit, tout ce qu'elle tentait d'enfouir remontait à la surface. Elle revoyait clairement, devant ses yeux, tel un mauvais mirage, une farce de mauvais goût, sa mère, passant des heures devant le miroir. Elle s'appliquait du rouge à lèvre, se faisait de jolies boucles, se parait de magnifiques bijoux et s'habillait de belles robes. Tout ça pour un mari qui ne posait à peine les yeux sur elle. Et puis, il y avait ce froid, tout ce froid. Ses parents qui ne l'étreignaient pas, qui agissaient pour son bonheur sans savoir ce qu'elle désirait du plus profond de son être. Oui, ce silence. Elle vivait dans la maison où personne n'écoutait. Tout le monde était trop obnubilé par soi-même que cette action si simple en devenait impossible. Il y avait cette obscurité qu'on cachait derrière les rideaux ou à l'intérieur de vases hors de prix. Sa famille se résumait à ce qu'elle voulait montrer d'elle. Une parfaite maison de poupée.

Narcisse pouvait tout à fait imaginer la honte qu'ils avaient ressenti suite à sa fugue. Que pouvaient-ils raconter à leurs amis ? Leur fille était une irresponsable, une révolté. Un p'tit voyou qu'on a élevé dans les diamants dont l'espoir qu'elle devienne une pierre précieuse. Oh, quels problèmes elle avait dû leur causé ! Elle les avait sortis de leur petit confort, de leur tour d'ivoire.

Elle souffla bruyamment et plongea son visage dans ses mains. Elle était une cause de problème sur patte. Mais bon, elle n'avait plus le temps de s'apitoyer sur son sort, il était temps pour elle d'aller au travail. Dure vie que celle de quelqu'un qui doit se battre pour quelques pièces. Mais n'était-ce pas le prix à payer, pour vivre en toute liberté ?

Elle se rendit à la salle de bain. Elle était fatiguée ce jour-là, et en plus de ça, pressée. Elle n'eut pas l'envie de s'apprêter. Elle laissa ses cheveux lâches partir dans le sens qu'ils voulaient, et s'habilla simplement d'une salopette et d'un tee-shirt blanc. Sa mère aurait été effarée, si elle l'avait vu. Elle l'aurait appelée négligée et ce serait empressée de réparer cette erreur. Les jeunes filles se doivent d'être habillés correctement ! se serait-elle exclamée.

Narcisse connaissait le refrain sur le bout des doigts. Il faut toujours se montrer à son avantage, sinon on ne nous prend pas au sérieux, bien sourire, se montrer polie, bla bla bla. Quel baratin !

Elle se rendait désormais compte à quel point on avait toujours essayé de la tirer vers le haut, contre son gré. Le ciel n'est pas un endroit pour les humains, et elle se plaisait bien ici, parmi le commun des gens normaux. Elle en avait assez de faire semblant, d'étirer sa personnalité pour atteindre les étoiles. C'était elle, l'étoile. Et elle regrettait que sa mère ne l'ait jamais vu.


Elle courut dans les rues pour arriver à l'heure. Arriver en retard était une habitude récurrente chez elle. Narcisse, jamais soucieuse qu'on puisse l'attendre, excellait dans l'art de prendre son temps malgré l'heure qui court à une vitesse vertigineuse. Elle considérait que, de toute façon, c'était déjà un bel effort que d'accorder l'honneur de sa présence, et qu'elle n'allait donc pas, en plus, se presser. Mais les choses avaient changé. Elle n'était plus la belle et riche Narcisse, elle était Ana, la petite serveuse fauchée qui tente de faire son trou dans le monde. Et en tant qu'Ana, elle se devait de courir pour arriver à temps au boulot. Chaque jour, Narcisse se rapprochait un peu plus du personnage qu'elle avait créé. Et plus elle devenait Ana, moins elle aimait Narcisse.

Là où se perdent les rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant