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Assise sur une chaise, les yeux fixés sur ses mains posées sur ses genoux, Narcisse écoutait sagement ses parents lui hurler dessus à tour de rôle. D'habitude, dans ce genre de situation, elle répliquait et provoquait à son tour, mais ce soir-là, elle garda le silence. Ses parents étaient venus la chercher au commissariat tout de même, et elle ne voulait pas envenimer la situation déjà délicate. Elle avait conscience qu'elle avait fait une énorme erreur en partant de la sorte, et elle savait pertinemment qu'elle été arrivée comme une tornade dans la vie de chacun. Elle était partie des rêves plein les poches, mais elle les avait tous perdu en chemin. Elle avait menti, blessé et abandonné tout le monde. A la place d'écouter les jérémiades de son père, son esprit était sans cesse tourné vers Shawn. Elle revoyait le regard chargé de mépris et de dégoût qu'il lui avait lancé. A cette simple pensée, son cœur se serra et son ventre se révulsa. Elle aurait tant voulu pouvoir lui expliquer et lui demander pardon. Elle aurait voulu rire avec lui de ce stupide, petit et ridicule mensonge. Elle aurait voulu rester à ses côtés, sentir son regard bienveillant sur elle et sa présence rassurante sur le canapé. Elle songea aussi à Alicia, ce moulin à parole auquel elle s'était tant attachée.

- Regarde-moi ! cria son père.

Elle leva des yeux remplis de colère vers lui. Il l'avait arrachée de force au monde qu'elle s'était créé à Colortown. Même si elle pouvait comprendre sa profonde inquiétude et sa colère, elle ne pouvait s'empêcher de le haïr. Il lui expliqua comme ils avaient eu des problèmes à cause elle. Ils avaient été accusés de sa disparition, et avaient été très critiqués. Tout le monde était mort de peur à l'idée de ce qu'elle avait pu devenir, et ils avaient dû faire appel à la police. Désormais, à cause d'elle, on ne parlait que de leur famille et de ses failles. On disait qu'ils étaient des parents négligents et elle une pauvre fille dévergondée et irresponsable.

Bien sûr, Narcisse se moquait totalement des soi-disant problèmes de ses parents. Ils n'avaient qu'à faire plus attention et elle et l'écouter. Rien ne se serait passé ainsi s'ils avaient accepté son rêve de chanteuse. Ils auraient dû savoir que rien n'arrête une jeune fille ambitieuse. Et encore moins quand elle est amoureuse.

Elle bredouilla des excuses hypocrites puis monta à sa chambre. Elle retrouva son lit immense, sa coiffeuse chargée de maquillage de marque et sa garde-robe hors de prix. Tout ce qui composait son bonheur autrefois lui semblait futile et superficiel. Elle observa à travers son immense fenêtre et vit le ciel bleu nuit où ne brillaient aucune étoile. Elle mit un pyjama, balança ses affaires par terre et s'allongea dans son lit moelleux. Elle regretta le vieux matelas de Shawn, dans lequel on s'enfonçait à peine et où on sentait les ressorts piquer votre dos. Elle était bien plus heureuse dans ce minuscule appartement que dans cette somptueuse villa. Ses parents n'avaient pas cherché à comprendre son acte. Ils ne lui avaient pas demandé comment elle se sentait, ni comment elle avait vécu cette fugue. Ils ne l'avaient pas questionné sur ce qu'elle avait fait pendant tout ce temps passé loin d'eux. Ils l'avaient juste sermonnée pour faire semblant d'être des parents autoritaires. De bons parents. Ses murs blancs, les beaux meubles, la piscine dans le jardin : tout ça la répugnait. Ses draps en lin lui brûlaient la peau. Elle n'appartenait pas à ce monde brillant et égoïste. Du moins, elle n'y appartenait plus. Elle voulait retourner à Colortown. Elle devait y retourner. Elle étouffait sous ce chic, ses parures dorés et ce froid glaçant qui s'en dégageait.

Alors elle songea que quitte à faire une folie, autant la faire jusqu'au bout. Comme Narcisse était totalement incapable de tirer une leçon des évènements qu'elle avait vécu, elle ramassa ses affaires par terre, les mit, ouvrit sa fenêtre et s'échappa une seconde fois de sa prison dorée. Elle était beaucoup trop impulsive et déterminée pour songer aux conséquences. Elle sauta par la fenêtre et atterrit sur le toit. De là, elle fit un bond et tomba dans le jardin. Elle aurait voulu atterrir de manière classe, mais ses genoux la lâchèrent en cours de route et le terme pour décrire son atterrissage était plus « s'écraser ». Mais elle s'était écrasée de manière classe. Elle se releva, épousseta son jean et courut le plus vite qu'elle put, bien que ses parents n'avaient pas encore remarqué son absence. Elle était partie tellement vite qu'elle n'avait absolument rien pris sur elle, même pas son portable. Elle s'arrêta de courir à l'arrêt de bus le plus proche, puis fouilla dans ses poches à la recherche de pièces pour payer son ticket. Le bus la déposa à 15 minutes de Colortown. Elle marcha à vive allure sans se démanteler jusqu'à arriver devant l'appartement de Shawn. Devant la porte, elle réalisa enfin ce qu'elle venait de faire. De 1, ses parents allaient réagir au quart de tour. De 2, elle ne pouvait pas se cacher définitivement dans cette petite ville pour fuir ses problèmes. De 3, comment allait réagir Shawn ? Elle était stupide de croire qu'il allait lui ouvrir naïvement sa porte de nouveau. Elle perdit soudainement toute son assurance et chaque partie de son corps se figea. Elle était effrayée. Elle avait fait un long chemin, sans doute pour rien. Elle ne voulait pas le perdre. Elle était horrifiée à l'idée qu'il lui glisse de nouveau entre les doigts. Elle se mit à respirer vite, très vite. Tout devint flou autours d'elle, si bien qu'elle dû s'asseoir sur les marches. Elle enfouit son visage dans ses mains et tenta de remettre ses idées en place. Narcisse était le genre de personne qui fonctionnait à l'adrénaline. Désormais, toute la tension ardente que son corps retenait était redescendue à plat, et Narcisse se trouvait comme une batterie vide. Elle agissait seulement sous le coup de violentes impulsions et ne réfléchissait qu'après ses actes. Elle était seule, n'avait pas un sou, se ferait détruire par ses parents en rentrant et se ferait probablement rejetée par Shawn et Alicia. Elle souffla pour essayer vainement d'extérioriser le sentiment de désordre et de déception qui s'était emparé d'elle. Il lui sembla que son impulsivité habituelle était une malédiction. Elle avait voulu atteindre les étoiles, mais tout ce qu'elle avait fait était d'éblouir son entourage pour mieux le brûler. Elle était en train de se morfondre sur son sort quand une voix familière la tira de sa déprimante réflexion.

Là où se perdent les rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant