XX.

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Le lendemain laissa place à une journée plutôt calme mais brumeuse. En ouvrant les paupières, allongée sur le canapé du salon, j'avais l'impression d'être passée sous un bulldozer. Que ma tête menaçait d'exploser. La nuit avait été plus que mouvementée et les cauchemars récurrents que je faisais concernant la mort de mon père ne me laissaient aucun répits.

Je visualisais son corps flottant au gré des eaux profondes de la cité. Dérivant un peu plus chaque fois que je fermais les yeux. A mesure qu'il s'éloignait du ponton j'avais l'impression qu'un monstre tentaculaire s'en emparait et tentait de le tirer vers le fond. Cette vision était pour moi insupportable et je me réveillais à chaque fois haletante, en sueur mes cheveux emmêlés dans mes draps mouillés.

J'avais quatorze ans quand mon père nous avait quittés. Alors que j'avais toujours vécu dans un cocon familial protecteur tout c'était fissuré ce jour là. L'annonce de sa mort avait été prononcée par ma mère, cafouillant cherchant ses mots. Comme si l'horreur de la perte serait plus supportable avec des mots plus doux. Je me revoyais en rentrant de l'école, ce soir  là plantée devant elle. Face au drame qui avait bouleversé nos vies tentant de nous faire plier. « Il est parti Maïa » Mais où ? Avais-je envie de crier sous le choc. J'étais plus touchée à ce moment là par les pleurs de ma mère et sa peine qui m'explosait au visage que par ma propre douleur.  Et après la phase de déni, se succéda la peur puis la rage. Ce n'est que bien des mois plus tard que je réalisais enfin les conséquences de cette annonce. Dans tous les moments du quotidien, je me sentais seule courant après une ombre. Sans lui, tous les moments que je traversais, il y avait un manque. Comme un vide sournois qui me suivait inlassablement dans tout ce que j'entreprenais. Ce vide courant plus vite que moi et qui avait englouti les promesses qu'il m'avait faite. Alors j'avais tenté de combler les trous en m'occupant constamment ne laissant pas une seconde à la solitude qui tentait de m'enlacer pour me tirer vers le fond.

Les contours concernant sa mort étaient sibyllins. Trop vaporeux pour être acceptés par une adolescente. C'était un « Accident-Suicide » . Seuls mots employés par ma mère pour tenter d'expliquer l'inexplicable. Son corps flottant fut retrouvé aux premières lueurs du jour au pied de l'hôpital lieu auquel il avait dédié tout son temps pour servir les autres. « Accident suicide » le terme était bien trouvé. Pour moi il fallait trancher c'était soit l'un soit l'autre. Tout devait être noir ou blanc. Je n'avais pas envie de comprendre les nuances de gris qui aurait pu expliquer  sa mort. Un suicide ce n'est jamais un accident. Et quelle était la probabilité de tomber du 16e étage d'un hôpital ? J'entretenais l'illusion et la conviction profonde que la vérité n'était pas remontée à la surface même après tant d'années. Trop de non dits, trop de contours demeuraient flous, il fallait que j'éclaircisse tout cela. C'était l'obsession qui me tenaillait et qui ne m'avait jamais lâchée jusqu'à aujourd'hui.

Alors j'avais tout entrepris pour reconstituer le puzzle, mais les pièces s'emboitaient mal. Rien ne collait. Je n'avais pas encore toutes les clefs en main pour lever ce voile obscur qui m'empêchait d'avancer et d'enfin tourner la page. D'accepter sa mort tout simplement ...

Ce nouveau stage était l'occasion rêvée pour découvrir enfin la vérité. J'allais pouvoir remuer ciel et terre pour obtenir des réponses. J'étais prête à tout pour me libérer de ce poids. Je voulais enfin être libérée de ces songes, enfin être libre au moins l'espace d'une nuit.

Mon esprit me torturait, jouant avec mes nerfs qu'il réduisait en esclavage. Ce matin mon cerveau était en charpie. Réduit en miette alors même que ma journée n'avait pas commencée.

C'était comme une cicatrice qui se rouvrait chaque matin. Me rappelant l'objectif  derrière lequel je courais et que je n'avais encore atteint. L'échec cuisant que je trimballais dans mes poches depuis des années. Je n'avais donc plus qu'une obsession, accéder à la morgue et retrouver le corps de Frantz.

Pour cela j'allais avoir besoin de Naos qui y travaillait et dont toute entrée était formellement étudiée, contrôlée, archivée. Il était en temps normal impossible pour les étudiants d'accéder à ce lieu de stage, mais Naos avait toujours rêvé de devenir médecin légiste. Alors, forcément avec Ethel Douarton comme père une petite entorse au règlement était vite oubliée. Il connaissait comme sa poche tous les sous-sols de l'hôpital : chaque employé, l'organisation de la relève ... J'avais une chance inespérée. Un laissez-passer qui allait m'ouvrir les portes. Nous avions échafaudé notre plan : Attendre que la nuit tombe pour pénétrer dans le service le plus sécurisé de l'hôpital.

J'attendais donc patiemment que le soleil se couche et que Naos remonte de son tour de garde en fin d'après midi pour mettre notre plan à exécution.

La nuit, le service était désert. En même temps les morts avaient ils besoin de chaperon pour passer une bonne nuit de sommeil ? Le personnel était donc réquisitionné uniquement de 6h30 à 21h30. Ainsi la nuit les corps gisant endormis étaient les seuls êtres « vivants » occupant ce lieu lugubre. C'était le meilleur moment pour ne pas être dérangé et pour enquêter en toute discrétion. J'avais une bonne partie de la nuit devant moi ce qui me laissait une bonne marge de manœuvre.

Mais comment entrer sans attirer l'attention ? Une fois que le chef de service fermait les portes à clés plus personne ne franchissais les murs. Impossible de me faire rentrer comme interne ou externe en médecine. Toute personne pénétrant dans le service devait passer par un contrôle des plus stricts avec une raison valable tamponné par un autre chef d'unité. J'avais bien évidemment abandonné l'idée d'aller voir Hermanst ... J'allais devoir montrer patte blanche : éviter les lasers infra-rouge et détecteurs de mouvements placés devant l'entrée. Devenir invisible. Traverser les murs et éviter l'alarme centralisée qui résonnait en cas d'intrusion forcée ...

Moi vivante, jamais je ne pourrais y pénétrer ... mais morte qui sait ?

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 11, 2016 ⏰

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Airstronomy ( EN COURS D'EDITION SORTIE 2018)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant