IX.

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L'ascenseur descend et le compteur numérique affiche respectivement : 10 , 9, 8, 7 ,6 ... Je me prépare à appuyer sur le bouton d'arrêt d'urgence. La descente se poursuit et je bloque l'ascenseur au troisième étage qui correspond au niveau de la mer actuel. Un peu plus et je finissais noyée sous les eaux. 

Quand on échappe à la mort à huit heures du matin on peut dire que la journée commence plutôt bien !

En descendant je croise dans le hall d'entrée la famille Ksinsoa qui habite au rez de chaussée. Je leur adresse un large sourire et lance un joyeux "Bonjour" aux deux enfants de trois et quatre ans qui déambulent dans le vestibule. Malgré la misère sociale dans laquelle ils vivent , et leurs vêtements rapiécés c'est le bonheur que l'on lit sur leurs visages chaque jour.

- Maïa , Maïa ! crient t'ils en courant vers moi les yeux pétillants !

Je place mon doigt sur ma bouche, et sors de mon sac une main pleine de bonbons que je garde tout spécialement pour eux.

La joie s'affiche sur leurs visages rayonnants et ils sautillent d'un bout à l'autre du hall en brandissant fièrement les gourmandises comme s'il s'agissait d'un trésor ! Un bisou sur chaque joue plus tard,  je les quitte à regrets en fermant la nouvelle porte d'entrée du building en acier massif.

Enfin dehors ! Un vent frais venu du nord s'engouffre dans mon manteau et hérisse immédiatement mes poils. Je frissonne. Je m'imagine alors respirer l'air extérieur, sentir le froid dans mes narines et humer les odeurs qui m'entourent. Je me surprends à imaginer l'odeur de la ville, de l'eau et des commerces sur pilotis attelés aux buildings modernes.

En perdant un de nos sens premiers "l'odorat" nous avons régressé. Si Darwin et sa théorie de l'évolution entendait ça, il en serait tout étourdi !

Après avoir emprunté une gondole-taxi , et parcourut les trente minutes qui me sépare de l'hôpital , j'arrive enfin à bon port. Enfin si on peut appeler ça un port ?. C'est plutôt un ponton de plusieurs dizaines de mètres réservé aux urgences en tout genre.

Je remercie mon gondolier , lui règle le prix de la course et m'engouffre dans le grand bâtiment qui surplombe les alentours.

Après avoir parcouru un dédale de couloirs en tout genre, rencontré des malades dans tous les endroits possibles et inimaginables, je parviens enfin à atteindre mon service d'affectation.  On peut y lire :  Urgences. En passant mon badge devant la puce magnétique, un bip suivi d'un déclic retentit. 

Enfin chez moi ! C'est la première réflexion qui me vint en poussant la lourde porte coupe-feu. Dès mon entrée, c'est tout  le rituel quotidien qui se met immédiatement en place :

- Bonjour tout le monde ! lançai-je à l'équipe de nuit qui allait enfin pouvoir quitter le service.

Des sourires , des tapes amicales sur l'épaule et quelques bonjours fusèrent à tour de rôle.

- Toi qui es toujours à l'heure d'habitude,  tu es venue à la nage ? me lança une voix masculine taquine derrière moi.

Nul doute qu'il s'agissait de Naos, un étudiant en médecine comme moi avec qui j'avais sympathisé qui comptait parmi mes amis proches désormais. Il m'attendait comme chaque jour pour pouvoir enfin rentrer chez lui et entamer une bonne journée de sommeil.

- Désolé Monsieur Douarton !  Je n'habite pas un appartement terrasse au 32è étage du St Mickael 's Hospital. De même ma mère ne possède pas un hélicoptère personnel attitré me permettant de me poser où bon me semble !  lui répondis-je du tact au tact un grand sourire aux lèvres.

- Oh tu sais, il faut quand même que je prenne l'ascenseur jusqu'ici. Tu n'imagines même pas l'effort que cela demande jeune fille ! me nargua t'il en rebroussant chemin vers les vestiaires des hommes. Puis il ajouta : D'ailleurs, si tu n'y vois pas d'inconvénients, je vais retourner hiberner au 32e étage, cette garde m'a épuisé ...

- File !  Avant que le chef de service ne te donne du travail supplémentaire ! 

- Ah et un dernier truc !  je t'ai posé les dossiers des patients dont tu dois t'occuper ce matin. Tu vas voir il y en a un qui vaut le détour ... il est loin d'avoir la lumière à tous les étages si tu vois ce que je veux dire. Ajouta-t-il tout en dévoilant un sourire d'une blancheur innommable.

- Merci ! On se retrouve plus tard lui lançai-je pour clore la discussion.

Après cet interlude,  je me dépêchais de rejoindre mon bureau que je partageais avec les autres internes. Je marchais en catimini, évitant soigneusement de passer devant le bureau du chef de service réputé pour être de très mauvaise humeur avant son café matinal.

La pile de dossiers des patients trônait fièrement sur mon bureau , et je les feuilletais pendant une bonne demi-heure avant de rejoindre la pièce où patientaient tous les patients.
On trouvait aux urgences toutes sortes de problèmes : de la simple insomnie en passant par des parasites mutants , aux  bactéries multirésistantes pour finir  sur des virus tropicaux inconnus. En bref on devait être prêt à tout ici, et surtout au pire ! 

Dans la cité la misère était contagieuse , côtoyant la malnutrition, la maladie et se répandant comme une traînée de poudre sur son passage.  Mais,  malgré cette ambiance hostile qui aurait pu miner le moral de quiconque, je me sentais utile au contact des habitants. Je pouvais soulager leurs peines, leur redonner de l'espoir et les guérir parfois juste avec de l'écoute et quelques mots réconfortants.

Parfois, je me mentais à moi-même intérieurement en leur donnant l'illusion que demain pourrait leur offrir un monde meilleur. Du moins j'essayais de m'y auto-convaincre.

Airstronomy ( EN COURS D'EDITION SORTIE 2018)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant