Chapitre 3 - Aaron - Belfort

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Les jours devenaient toujours plus difficiles, toujours plus insurmontables. Je les franchissais comme des épreuves dont chaque enjeu était la vie, dont chaque récompense était l'existence d'un lendemain et non celle d'un avenir certain... Je ne criais pas, je ne pleurais pas, j'essayais juste de survivre, pour moi, pour mes amis, pour ceux qui se battaient; j'essayais juste de respirer, de ne pas sombrer dans la folie et d'attendre désespérément le jour prochain...

Ne me restait que la colère mais que pouvais-je en faire ? Je n'en voulais pas, je ne voulais pas de cette haine envers les nazis, comme eux l'avaient pour nous... Elle ne me servait à rien, à cet instant, ni à aucun autre. Pourquoi haïr quand on peut aimer ? Pourquoi la différence quand existent la tolérance et l'égalité ? Que de questions qui tournaient en boucle dans ma tête... La souffrance était ma cage, ses barreaux forgés dans les profondeurs de la haine avaient pour cadenas la solitude, dont seule la liberté était la clé...

Chaque jour terminé était un jour qui s'ajoutait à cette misérable vie... Mais il fallait chaque fois me reprendre, pour ne pas tomber dans le gouffre... J'en visitais chaque bord, manquant souvent d'y glisser...

J'aimerais tant pouvoir écrire, retranscrire ma peur, ma tristesse, mon peu de bonheur sur une feuille de papier. Je pense que ma vie paraîtrait plus simple, peut-être même moins réelle mais je ne le pouvais malheureusement pas, ce serait laisser une preuve de plus contre Paul, un jour de moins dans sa vie comme dans la mienne.

Le mal creusait en moi irrémédiablement. Si j'avais su, j'aurais profité un peu plus de chaque chose, pleuré un peu moins pour chaque petit malheur insignifiant, aimé chaque instant comme le dernier...

Je devenais fou, petit à petit, je commençais déjà à penser à voix haute, bientôt, je me parlerai à moi même, pour ne pas devenir ce que l'homme craint, une bête. Pour garder un faux semblant de sociabilité et pour faire comme si rien ne s'était passé. Je savais que c'était idiot, j'en étais parfaitement conscient, mais je tenais encore à me couper soigneusement la barbe et les cheveux, accorder à mon corps de rares douches et manger proprement, en prenant soin de ne rien salir. C'est en partie cela qui m'aidait à rester celui que j'étais, Aaron Collins, jeune enseignant dans un collège de Belfort.

Des claquements de bottes retentirent dans la rue en contrebas, ponctués de la malheureuse phrase : " Heil Hitler ! ", scandée par les voix gutturales nazies et interrompant du même coup le fil noir de mes pensées.

Malgré tout, je me rappelai la voix de Paul : " Tu es en danger, Aaron, ils ont décidé d'exterminer tous les juifs qu'ils trouveront en vue de l'offensive ennemie. Regarde, c'est écrit là...". Ce après quoi, il m'avait tendu un journal où se trouvait le gros titre qui hantait à présent mes cauchemars.

The Night Of HopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant