chapitre I : La lettre

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Château de Brissac, dans la matinée du 18 mai 1670

Louise de Brissac se promenait dans le parc avec son amie Anne d'Angers comme à son habitude lorsqu'un valet, visiblement essoufflé, interrompit leur marche.

- Mesdemoiselles !

Les deux femmes se retournèrent d'un même mouvement et observèrent, amusées, le jeune Jean. Il était le fils d'Antoine, un valet au service de la famille de Brissac depuis son enfance. Lui et Louise avait grandi ensemble, et même si elle avait deux ans de plus que lui, cela ne les avait pas empêché de s'amuser tout les deux. Aussi, Louise ne put s'empêcher de rire lorsqu'elle vit le visage rouge et trempé de sueur de Jean. Le pauvre avait du courir dans tous les jardins afin de les retrouver. Il essaya tant bien que mal de reprendre son souffle et il déclara :

- Vôtre mère ... vous demande ... dans ... dans le petit salon mademoiselle ... de Brissac.

Louise se tourna vers son amie, étonnée. Jamais sa mère ne l'avait convoqué de cette façon. Il devait s'agir d'une affaire pressante, sans aucun doute.

Elle chargea Jean de faire atteler la voiture afin de raccompagner Anne chez son mari, puis elle se dirigea en direction du château. Sur le chemin, elle réfléchit à ce que pourrait bien être cette affaire si urgente. Était-il arrivé quelque chose à son père ? A sa grande sœur ? A son petit frère ? Elle chassa tout de suite ces pensées négatives. Non, il ne leur était rien arrivé. Son père et sa grande sœur, Marie ainsi que son mari étaient à la cour de Versailles. Quant à son petit frère, il devait certainement être en train de jouer avec sa nourrice près du lac. Louise ne devait pas avoir d'inquiétudes à ce sujet. Il devait alors forcément y avoir un rapport avec elle-même. Sa mère lui avait-elle trouvé un mari ? Rien qu'à cette évocation, elle eut des frissons sur tout le corps. Louise venait à peine de sortir du couvent, devait-elle déjà se marier ? Ne pouvait-elle pas profiter un peu de sa liberté ?

Perdue dans ses pensées, la jeune femme ne se rendit même pas compte qu'elle était arrivée près de l'entrée principale du château. Les gardes lui ouvrirent la porte et elle pénétra à l'intérieur des lieux. Elle ne fit pas attention aux carreaux noirs et blancs qui ornaient le sol. Ni aux tableaux des anciens ducs de Brissac qui décoraient les murs. Louise focalisa seulement son attention sur le grand escalier en marbre qui menait aux étages supérieurs et donc au petit salon. Elle tremblait. De peur ou d'excitation, elle ne saurait le dire.

Elle commença à gravir les marches de l'escalier lorsqu'elle se rendit compte que ses bas ainsi que les bottes qu'elle avait empruntées à son père étaient tâchés de boue. Sa mère, si attachée aux convenances, n'allait pas être contente. Mais tant pis, elle avait trop hâte de savoir et ne prit donc pas le temps d'aller se changer.

Lorsque Louise arriva au premier étage, elle prit tout de même le temps d'enlever les bottes de son père pour éviter à sa mère une crise cardiaque. Même si cette dernière savait le peu d'affection que portait Louise aux talons, il valait mieux ne pas l'effrayer davantage en portant des chaussures d'hommes. La jeune fille déposa les vielles bottes sur le côté de la porte, prit une grande respiration et toqua. Une voix aigüe lui répondit "entrez"

Louise s'avança et sa mère, assise sur un divan en face d'elle, releva la tête. Elle tenait dans ses mains une lettre dont le cachet avec les armoiries des Brissac venait d'être défait. Jeanne Antoinette de Brissac toisa sa fille du regard. Ses yeux d'un vert profond, entourés de rides - signe de son évidente vieillesse - s'arrêtèrent sur ses pieds. Elle fit une grimace qui fit clairement comprendre son mécontentement. La robe rouge sang qu'elle portait soulignait encore plus sa mine sévère.

- Qu'est ce que cet accoutrement ? N'avez-vous pas de robes plus adéquates que celle-ci ? vous ressemblez à une paysanne ainsi habillée.

Louise fut surprise que la remarque ne portât pas sur ses bas. Mais cela ne l'empêcha pas de s'énerver. Elle avait envie de riposter : "Et vous mère. Vous êtes-vous regardée ? Vous ressemblez à une vielle mégère qui essaye de paraître plus jeune. Vous vous recouvrez de poudre mais cela ne vous va absolument pas. Vous portez une robe beaucoup trop indécente pour votre âge avec un décolleté plongeant pour vous faire désirer. Mais plus personne ne vous remarque. Et ça vous rend malade. J'espère ne pas devenir comme vous plus tard. Vous me faites pitié."  Au lieu de ça, Louise se tut et baissa les yeux. Ceux-ci étaient à l'opposé de ceux de sa mère. Ils étaient d'un bleu très clair. On lui faisait d'ailleurs souvent des compliments à ce sujet, ce qui avait le don d'énerver Jeanne, jalouse de la beauté et de la jeunesse de sa fille. L'annonce de sa mère coupa court à ses pensées :

- Je viens tout juste de recevoir une lettre de vôtre père. Elle vous est adressée.

"Et bien sûr, vous n'avez pu vous empêcher de l'ouvrir" pensa Louise. Sa mère lui tendit la lettre qu'elle attrapa avec vivacité. Elle partit ensuite à l'opposé de la pièce, le plus loin possible de sa mère, et s'installa dans un fauteuil. Là, elle ouvrit la lettre et en commença la lecture.

A Versailles, le 14 mai 1670

Chère Louise,
J'espère que vous, vôtre mère et vôtre petit frère vous portez bien. Je vous rassure dès maintenant - car je vous sais de nature inquiète - tout va bien à Versailles. Le roi et sa cour comptent bien rester dans ce magnifique palais et ce n'est pas pour me déplaire. Il y fait d'ailleurs en ce moment même de sublimes restaurations. Enfin, comme vous le savez, je suis à la disposition du roi, aussi, je dois le suivre n'importe où. Et j'avoue que ces derniers mois passés à Paris étaient un véritable calvaire. Les rues étaient sales et infestées de rats et de prostituées. Je suis donc ravi de ce déménagement hors de la capitale. Ici l'air est pur et nous pouvons même entendre les oiseaux chanter le matin. N'est-ce pas magnifique ?
Si tout va bien, vous devez alors vous demander pourquoi je vous écrit cette lettre. Et bien, à vrai dire, lors de ces soirées à Versailles dont je ne me souviens jamais complètement, j'ai du évoquer vôtre nom au Roi. Comme Marie, vôtre sœur, s'est distinguée à la cour par ses manières et sa beauté, le Roi fut très surpris d'entendre que cette dame avait une sœur plus jeune et qui n'avait point de mari. Sa curiosité piqué au vif, il me convoqua le lendemain afin de vous prier de rejoindre la cour le plus rapidement possible. Je vous écrit alors cette lettre pour vous faire part de sa demande. Je sais que vous teniez à vôtre liberté, mais on ne peut dire non au roi. Il m'a donc prié de vous informer que vous êtes officiellement nommée dame de compagnie de sa Majesté la reine Marie-Thérèse d'Autriche.
Je vous prie de m'excuser, ma très chère fille, pour cette lettre succincte, mais je dois faire vite afin de rejoindre le roi.
Avec mes très chères salutations,

Monsieur le Duc de Brissac.

La jeune fille comprit alors pourquoi sa mère avait été aussi désagréable avec elle. Elle avait lu la lettre et était verte de jalousie. Cela pourrait également expliquer la couleur rouge de ses pommettes et ses yeux brillants lorsque Louise était entrée dans la pièce. Elle devait se rappeler sa jeunesse, lorsqu'elle même était encore belle et désirée...

Louise était confondue entre deux sentiments. La joie de quitter sa mère qui l'oppressait mais également l'appréhension de la nouveauté. Qu'allait-elle trouver à Versailles ? Cette cour était-elle aussi magnifique qu'on le prétendait ?  Ou alors est-ce là-bas que se cachait toutes les intrigues de France comme les rumeurs les disaient ?

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Voilà le premier chapitre de Versailles ! J'espère qu'il vous a plu !

N'hésitez pas à commenter afin de me faire des remarques constructives, me donner des conseils, signaler une faute d'orthographe ( il arrive qu'elles échappent à mes relectures ) ou tout simplement pour dire si le chapitre vous a plu !
Bisous, W.

Média : Louise se promenant dans les jardins

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