Bureau du roi, château de St-Germain en Laye, 19 juin 1670
Louise fut si aveuglée par sa colère qu'elle n'avait pas vraiment fait attention à ce qu'Arthur lui avait dit. Mais maintenant qu'elle était descendue de sa jument et que sa course lui avait vidé l'esprit, elle comprit que le roi l'avait demandée. Et cela l'effraya. Pourquoi voulait-il la voir ? Avait-elle fait quelque chose de mal ?
Elle se rappela qu'elle portait un pantalon. Et s'il l'avait vu comme cela ? En y repensant, elle avait vu deux hommes lors de sa promenade. L'un d'eux devait sûrement être Arthur et l'autre ... Non ! Impossible !
Pour en avoir le cœur net, elle se dirigea vers le duc de Bourgogne qui était tout juste en train de descendre de sa sublime jument pur-sang. Elle lui demanda :
- Est-ce vous qui m'avez vue tout à l'heure dans la clairière ?
- Oui.
- Et vous étiez accompagné de ...
- Du roi.
Il répondait sèchement mais ce ne fut pas cela qui inquiéta Louise.
- Et... M'avez-vous reconnue ?
- Pas de suite non. Mais nous sommes allés voir le jeune Louis qui nous a appris que c'était vous.
- Oh mon Dieu ! Est-ce pour cette raison que le roi veut me voir ?
- A vrai dire je n'en sais rien. Vous verrez par vous même.
Louise se mit à trembler de peur. Voyant cela, le duc se radoucit et essaya de la réconforter :
- Mais ne vous inquiétez pas. Je suis sûr que le roi vous apprécie.
- Mais bien sûr ! Après l'avoir offensé en arrivant en retard à son souper puis après m'être montrée à lui en tenue d'homme, je suis sûre qu'il a une très bonne image de moi !
Arthur ne répondit pas car il savait que c'était inutile. Rien ne pouvait soulager Louise. Il se contenta alors de sortir des écuries après avoir salué Louis. La jeune fille le suivi, le cœur battant.
Mais elle se rappela au dernier moment de ce qu'elle portait. Elle fit demi-tour et couru (encore quelque chose d'inconvenant pour une fille de son rang) jusqu'à l'endroit où reposaient ses jupes. Elle les enfila tant bien que mal et rejoignit Arthur qui n'avait pas bougé. Il la regarda de la tête au pied, une expression indéchiffrable sur son visage, puis se retourna face au château. Il avançait vite et Louise avait le plus grand mal à le suivre.
Sur le chemin, il croisèrent de nombreux courtisans qui faisait les yeux doux au duc et qui lançait à Louise des regards de mépris. Il y a même une femme qui interrompit le duc dans sa marche :
- Oh monsieur ! Comment vous portez-vous ?
Elle avait un sourire enjôleur jusqu'à ce qu'elle aperçoive Louise.
- Que faites-vous avec elle ?
Elle cracha le "elle" comme s'il lui avait brûlé la langue.
Mais Arthur l'ignora et la méprisa. C'était peut-être de cette manière que fonctionnait ce monde après tout. Plus l'on se montrait méprisant et hautain, plus l'on progressait. Alors que si vous étiez douce et sans idées mesquines d'aucune mesure, comme Louise, vous vous faisiez écraser. Quelle triste réalité des choses ...
Le duc continua son chemin sans même daigner lui répondre et Louise le suivit, tremblante sous le regard empli de haine de la femme. Pour faire pardonner le comportement d'Arthur, elle murmura un léger "désolé" quand elle passa devant elle, mais la femme sembla encore plus offensée. Elle aurait mieux fait de ne rien dire.
Au bout de cinq minutes de marche dans le château, Arthur s'arrêta soudainement et Louise lui rentra dans le dos.
- Pardonnez-m...
- Où se trouvent vos appartements ?
Il l'avait coupé sans même s'en préoccuper.
- Pourquoi ?
- Vous ne pensez tout de même pas voir le roi dans cette tenue ?
Louise regarda sa tenue et vit des bottes noires couvertes de boue, ses jupes mal enfilées et ses cheveux, qui lui arrivaient aux hanches, tout emmêlés. Son visage devait être dans le même état que le reste de sa tenue. Effectivement elle ne pouvait pas rencontrer le roi habillée comme elle l'était.
- Ils sont par ici.
Louise prit les devant et elle arriva, sans se perdre, devant sa chambre.
- Très bien. Je vais faire appeler vos femmes de chambre.
Il la laissa sans même attendre sa réponse. Louise soupira, lassée du comportement de cet homme et rentra dans ses appartements.Une heure plus tard, Louise était resplendissante, telle qu'elle ne l'avait jamais été. Elle portait une robe de velours couleur carmin mettant en avant la blancheur naturelle de son teint. Des chaussures de la même couleur que la robe et extrêmement inconfortables étaient à ses pieds.
Ses cheveux, relevés en un chignon, resplendissaient.
Ses femmes de chambres faisaient des miracles. Louise les remercia chaleureusement et sortit de ses appartements.
Un valet en livrée royale attendait devant sa porte. Il demeura imperturbable quand Louise sortit. Il récita :
- Le roi vous attend dans son bureau mademoiselle. Il m'a demandé de vous conduire jusqu'à lui. Si vous voulez bien me suivre.
Elle acquiesça et emboitât le pas au valet.
Les appartements royaux étaient à l'opposé des siens et Louise maudit ses chaussures. Elle allait à coup sûr avoir d'autres égratignures.
Ce fut au bout d'un long calvaire qu'ils arrivèrent devant deux immenses et magnifiques portes dorées. Elle devaient faire trois fois la taille de Louise. Cela l'impressionna grandement tandis que le valet gardait une expression neutre.
Elle songea à ce moment qu'elle n'avait pas revu le duc de Bourgogne. Ou pouvait-il bien être allé ?
Mais pourquoi est-ce que tu penses à ça maintenant Louise ? Tu devrais plutôt être morte de peur.
Et elle l'était. Durant le voyage, elle s'était efforcée de ne pas y penser et de se calmer. Ses femmes de chambre lui avaient même préparé une tisane à la camomille pour calmer ses nerfs. Mais se retrouver devant ces portes fit ressortir toutes ses craintes. Que lui voulait le roi ? Allait-elle déshonorer sa famille ? Allait-elle être envoyée loin d'ici ?
Elle n'eut pas le temps de réfléchir plus car le valet l'annonça et l'invita à entrer. Son sang ne fit qu'un tour et elle se força à mettre un pied devant l'autre. Elle se rendit alors compte d'à quel point le roi la terrifiait.
Elle découvrit la pièce, tremblante. Le bureau devait faire deux fois la taille de ses appartements entiers et était richement décoré. Au fond de la pièce, sur tout un mur, s'étendait une bibliothèque avec des ouvrages d'une valeur inestimable. Sur le côté droit, de grandes fenêtres permettaient d'illuminer la pièce. Et sur la gauche un canapé et des fauteuils de velours rouge. Au sol, un parquet en bois riche. Sur tous les murs, des portraits de personnes inconnues de Louise. Et juste en face d'elle, un bureau en hêtre et le roi, assit juste devant.
Son expression ne trahissait rien. Ni du positif ni du négatif. Aussi l'appréhension de Louise grandit.
Il l'observa pendant un instant qui parut durer une éternité et Louise se rendit compte avec horreur, que dans son appréhension, elle avait oublier de faire sa révérence. Elle s'empressa de réparer son erreur et attendit que le roi lui demande de se relever.
- Relevez-vous mademoiselle de Brissac.
Elle leva la tête mais ne regarda pas le roi dans les yeux. Cependant, elle put apercevoir son expression et il semblait amusé. Amusé ? Se moquait-il de moi ?
Elle savait qu'elle ne devait pas commencer la conversation et qu'elle devait attendre que le roi prenne la parole mais il la dévisageait depuis maintenant cinq minutes et elle envisagea de dire quelque chose. Il la coupa dans ses pensées et déclara :
- Vous êtes une jeune femme bien singulière mademoiselle de Brissac.
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Versailles
Historical Fiction1670, le roi Louis XIV gouverne le royaume de France. Pour exposer sa grandeur, il installe de plus en plus régulièrement sa cour au château de Versailles, qui n'est au départ qu'un modeste pavillon de chasse. Il y fait de nombreux travaux et ce châ...