Chapitre II : Le départ

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Château de Brissac, 10 juin 1670, environ huit heures du matin.

Le carrosse ainsi que Jean, le valet, attendaient devant l'immense château de la famille Brissac.

Louise était toujours dans sa chambre, en train de terminer ses dernières malles. Sa mère lui avait acheté pour l'occasion toute une garde-robe. Malgré sa jalousie, elle ne voulait pas qu'on pense à la cour que la fille de la grande duchesse de Brissac s'habillait comme une paysanne. Ainsi les bagages étaient remplis de corsets rigides ou souples, de jupes et de robes faites de satin ou de velours colorés, de bas en soie ou encore de gants ornés de dentelle. Mais dans toute ces étoffes de valeur, Louise y avait discrètement glissé sa robe favorite. Une robe en toile, simple et blanche que l'on pouvait porter sans corset. Elle ne dévoilait rien de sa poitrine et cachait son absence de formes. De plus, elle était très confortable. Cela la changerait de ces énormes robes encombrantes qu'elle devrait porter en public et qu'elle avait sur elle en ce moment même. La robe qu'elle portait était d'une couleur claire s'apparentant à du bleu et ornée de la dentelle la plus fine d'Espagne. Le buste, agrémenté d'étoffes plus foncées, semblait fin en comparaison avec l'immense jupe en dessous. Celle-ci devait bien faire un mètre d'envergure et était faite du même tissu que les manches.

Même si le résultat était plutôt satisfaisant, Louise ne se sentait pas du tout à l'aise. Son corset était beaucoup trop serré - elle arrivait à peine à respirer - et sa robe la gênait pour marcher. Les bottes à talons à ses pieds n'aidaient pas vraiment non plus. La jeune fille ne se sentait plus du tout elle-même dans cette tenue. Elle avait pourtant mit la robe la moins vulgaire de toutes celles que sa mère lui avait acheté. Toutes les autres possédaient un décolleté plongeant qui laissait apercevoir ses seins. Peut-être était-ce la mode à Versailles. En tout cas, maintenant que le moment de partir approchait, Louise ne voulait plus du tout partir. Elle désirait rester ici et surtout rester libre.

Mais il allait de son devoir d'obéir à son père, et surtout au roi.

Louise se tourna difficilement face à son miroir et inspira profondément. "Ne t'en fait pas Louise, tout va bien se passer. Ce n'est pas difficile d'être une dame de compagnie. Et puis, tu auras ta sœur et ton père pour t'épauler. De toute façon, tu ne resteras pas éternellement à la cour, un jour tu reviendras chez toi."  Louise décida de croire en elle et se détourna de son miroir. Elle regarda pour la dernière fois ses appartements et elle les quitta avec nostalgie. "Non, pas de nostalgie. Tu vas revenir."

Elle descendit les deux étages qui la séparaient du sous-sol et attendit sa mère dans le grand hall. Celle-ci arriva cinq minutes plus tard, avec un présent dans les mains, son petit frère Charles la suivant de près. Elle avait les yeux rougis et semblait triste. Cela parut très étrange à Louise étant donné que sa mère ne connaissait aucuns sentiments excepté la jalousie. Peut-être Jeanne était triste car elle venait de se réaliser qu'elle allait se sentir seule dans cet immense château, sans la présence de sa fille.  Peut-être la cause de ses yeux rougis était tout simplement la solitude...

Charles mit fin à ses pensées en s'avançant vers sa grande sœur. Louise le prit dans ses bras - difficilement à cause de ses jupes - et l'embrassa sur le front. Il lui fit un câlin et lui glissa à l'oreille :

- Tu m'oublies pas, d'accord ? Et dis bonzour à papa, à Marie et au roi aussi. Ze t'aime Louise.

- Mais bien sûr que je ne t'oublie pas. Comment pourrais-je oublier un garnement comme toi. Et quant à tes salutations, je les ferais parvenir, ne t'en fais pas. Je t'aime Charles. Sois sage.

La nourrice que sa mère avait appelé arriva discrètement, prit Charles par la main et l'emmena hors de la pièce.

Quand Charles fut sorti, sa mère s'approcha timidement de Louise et contre toute attente, prit sa fille dans les bras. Elle la serra pendant deux bonnes minutes puis s'écarta et lui tendit le petit paquet qu'elle tenait à la main. Louise, étonnée, attrapa l'objet qui avait une forme allongée et enleva le morceau de tissu qui l'enveloppait. Elle découvrit une petite dague agrémentée de feuilles de lierre ainsi que d'une émeraude. Elle releva la tête, encore plus choquée qu'auparavant. Sa mère lui murmura :

- On ne sait jamais ce qui nous attend à Versailles ma fille. Soyez prudente et gardez toujours cette arme sur vous.

Louise remercia sa mère et glissa l'arme sous ses jupes, dans sa botte droite. Jeanne, après avoir vérifié que sa fille avait bien caché sa dague, s'en alla sans un au revoir. "Quel brusque changement de comportement" pensa Louise.

Elle décida finalement d'oublier ce moment étrange et elle rejoignit Jean devant le château et monta dans le carrosse. A son passage, il lui fit un sourire compatissant et lui glissa un petit "Bonne chance madame". Elle lui sourit en retour.

Antoine, le père de Jean, chargeait les bagages puis on entendit un coup de fouet et la diligence s'ébranla. Louise observa le château de son enfance disparaitre sous ses yeux. Elle essaya de ne pas penser à combien il allait lui manquer mais c'était impossible. Elle ne pouvait s'empêcher de se remémorer les moments passés dans le jardin avec sa grande sœur à courir et à rigoler. Ou encore la fontaine dans laquelle elles avaient sautées toutes les deux lors d'un été. Ou bien le grand hall dans lequel elle et Jean avaient fait tant de bêtises. Et sa mère, à cette époque moins aigrie, qui criait sur eux puis sur les valets afin qu'ils les rattrapent. Elle ne put s'empêcher de sourire à cette pensée. Elle n'avait vraiment pas été la fille que sa mère espérait. Étant jeune, elle était trop impulsive  et ne respectait rien des règles de la société. Elle s'habillait même souvent avec les immenses pantalons de son père lorsque sa mère était absente. Mais tout ça s'était arrêté à ses six ans. Sa mère l'avait envoyé dans un couvent afin de faire son éducation. Là-bas, elle avait reçu un enseignement très strict et privatif. Elle n'en était ressortie que dix ans plus tard, maîtrisant parfaitement le chant, la harpe ainsi que le violon, le latin et le grec, la broderie, la philosophie et les sciences et le plus important selon sa mère : des manières nobles et un langage digne de son rang.

Aujourd'hui, dans le carrosse en route pour Versailles, Louise pensa que toutes ces compétences n'allaient pas lui être inutiles à la cour de France. Une cour réputée comme étant la plus belle d'Europe...

Le voyage jusqu'à Versailles dura plus de sept heures. Sept heures durant lesquelles Louise avait appréhendé son arrivée. Mais quand elle arriva devant le palais, vers quinze heures, elle oublia tout. Elle fut époustouflée par la beauté, la grandeur et la magnificience de Versailles.

Elle entrait dans un tout nouveau monde. Un monde inconnu et qui pouvait parfois s'avérer dangereux.

Versailles Où les histoires vivent. Découvrez maintenant