Chapitre VIII : Le bourgeois gentilhomme

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Château de Versailles, salle à manger royale, 10 juin 1670

- Ma femme et moi-même souhaitons vous annoncer une heureuse nouvelle et espérons que vous vous en réjouirez.

Tout le monde, surpris de cette intervention détourna le regard de Louise pour le tourner vers le mari de sa sœur. Louise put enfin respirer, même si tout était relatif car son corset l'en empêchait. François-Antoine reprit :

- Ma merveilleuse femme attend un enfant.

Cette nouvelle fut suivie des plus vives acclamations et félicitations. Apparemment tout le monde aimait Marie à la cour. Même la marquise de Montespan semblait contente. Marie, fidèle à elle même, souriait à tout le monde et remerciait ceux qui la félicitaient. Elle semblait faite pour ce monde, contrairement à Louise.

Le roi semblait également ravi de cette nouvelle et applaudit. Tout le monde l'imita et Marie fut envahie de compliments.

Louise fit ce que sa sœur lui avait conseillé et feignit la surprise. Elle applaudit également comme tous les autres courtisans. Elle remarqua alors que seul Arthur n'applaudissait pas.

Décidément, je ne comprendrais jamais cet homme !

Louis XIV coupa court aux applaudissements en prenant la parole :

- Je me réjouis de cette heureuse nouvelle. J'ai moi même une surprise. Et elle nous attend dans la salle principale du château.

Le roi se leva et tout le monde l'imita. Il chuchota un ordre à un serviteur et s'avança vers la sortie de la salle. Il prit tout le monde au dépourvu mais chacun savait ce qu'il avait à faire. Louise, elle, était perdue.

- Il faut le suivre, lui chuchota Elizabeth.

- Oh. Merci.

Elles le suivirent jusqu'à la salle principale que Louise ne reconnut pas. Elle était (presque) sûre qu'elle était déjà passée par ici. Mais la pièce ne ressemblait plus du tout à son souvenir. Une scène en bois avait été installée entre les deux immenses escaliers de marbres. Et des fauteuils - une cinquantaine environ - avaient été installés en face de la scène.
Tous les courtisans semblèrent trouver cela normal et il s'installèrent. Louise allait faire de même quand la duchesse de Cambridge, qui la suivait toujours, l'arrêta :

- Tu ne peux pas t'asseoir n'importe où. Il y a un plan précis.

- Mais alors, où dois-je me mettre ?

- Je n'en sais rien. C'est au roi de décider. Fais en sorte qu'il te voie pour qu'il t'attribue une place. Sinon, s'il t'a oubliée, tu devras passer la soirée debout.

Louise pensa à ce moment que le roi était vraiment le centre de ce monde. Mais elle n'eut pas le temps d'approfondir sa pensée car un valet s'approcha d'elle.

- Mademoiselle de Brissac, le roi à un message pour vous.
Il lui tendit un morceau de papier cacheté par le sceau du roi, puis tourna les talons et partit.

Louise, qui pensait que le roi lui avait attribué une place, ouvrit la lettre. Ce qu'elle lut a l'intérieur lui glaça le sang.

Vous resterez debout et penserez à ne plus irriter le Roi.

Quand elle releva ses yeux, elle en trouva une quarantaine de paires qui la fixaient. Évidemment. Elle était debout, en plein centre des chaises. On ne pouvait que la remarquer. Personne ne savait encore ce que cette missive contenait. Mais lorsque qu'ils la verraient se diriger vers le fond de la salle, son humiliation serait telle qu'elle ne voudrait plus jamais réapparaître. Cependant, il le fallait. Il fallait assumer les conséquences de ses actes. Elle avait désobéi au roi et devait par conséquent être punie.
Elle baissa les yeux et se dirigea vers le fond de la salle. Elle entendit à son passage, des rires mesquins et des remarques vicieuses.
Elle ne dit rien et se plaça derrière la dernière rangée de sièges.
De la, elle put apercevoir le roi et la Montespan arriver. Cette dernière se pendait au bras du roi comme pour montrer qu'il était sa propriété. Elle fit penser à Louise à une vipère qui défendait son œuf.
La reine de France baissa les yeux, manifestement vexée que son mari arrive avec cette femme.
Louis XIV s'installa au premier rang avec à sa gauche la Reine et Arthur alias le duc de Bourgogne et à sa droite son frère, le duc d'Orléans et sa femme ainsi qu'un courtisan inconnu de Louise.
Elle put aussi apercevoir sa sœur au troisième rang qui s'était retournée pour lui lancer un regard désolé ainsi qu'Elizabeth au septième rang qui lui faisait un sourire timide. Évidemment, toutes deux étaient navrées que Louise fut traitée comme ceci. Mais Louise avait compris la leçon. Elle avait défié le roi, sans le vouloir certes, mais il fallait en assumer les conséquences. Et puis, après tout, elle s'était déjà ridiculisée lors de son arrivée, alors un peu plus de ridicule ne la tuerait pas. Louise trouvait ces pensées réconfortantes mais lorsqu'elle vit les mines moqueuses et méchantes des personnes se retournant pour la scruter, ces pensées ne lui furent pas d'un grand secours.
La jeune fille avait alors compris une autre leçon de la cour, ce monde inconnu. Si le roi agissait, tout le monde faisait de même.

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