ABYMES ENCHANTÉES

Chapitre III - Perles

- Vous l'avez empoisonnée, s'offusqua Alastair en claquant la porte de l'antichambre derrière lui.

La princesse soupira et resserra la ceinture de sa robe de chambre autour de sa taille, soudain consciente de son accoutrement. Un empoisonnement? C'était là un bien grand mot. Ana s'était contentée de verser quelques gouttes d'un sérum de vulnérabilité dans le thé de son invitée.

- C'était nécessaire.

- Nécessaire? Ana...

- Vous n'êtes pas exempt de m'appeler Altesse, le coupa brusquement la souveraine.

Alastair grogna et peigna nerveusement ses cheveux en arrière.

- Sauf votre respect, Altesse, reprit l'homme en affichant un air contrit, l'art faerys ne devrait pas être pris à la légère.

Ana fronça les sourcils, toisant son interlocuteur avec dédain. Elle éloigna ses propos d'un geste de main et se laissa tomber dans un fauteuil.

Les mages Faërys étaient au service de la famille royale de Noctalea depuis des siècles. Aux côtés de chacun des membres de la monarchie se tenait un ensorceleur. Ces derniers étaient les conseillers officiels du royaume. Ils participaient à la majorité des décisions politiques, en plus de garantir la protection des souverains. Afin de pouvoir assurer le poids de telles responsabilités, les jeunes sorciers étaient entraînés dès leur plus jeune âge. Les érudits les plus éminents de la contrée s'engageaient à leur enseigner l'histoire et la géographie, l'arithmétique et l'astronomie ainsi que des sciences plus occultes, telles que l'alchimie et l'art des potions. Puis, les disciples les plus honorables, au terme d'une cérémonie de tradition millénaire, étaient nommés enchanteurs monarques.

Les livres racontaient qu'il y a des décennies de cela, lors du règne de Khân le Lumineux, un des ensorceleurs trahit l'honneur du Roi, en abusant de ses pouvoirs. Le coup d'État fut déjoué, bien heureusement.  En réponse à ce fâcheux événement, tous les mages Faerys résidant à Noctalea virent leurs libertés décroitre. Les charmes et sortilèges dont ils avaient l'usage légal furent réduits au strict nécessaire. Les fantaisies en tout genre n'étaient plus tolérées. Ceux qui possédaient ce don merveilleux et qui jadis, en avait fait leur fortune,  furent enchainés aux nouvelles lois. De nombreuses familles Faerys quittèrent le pays, ne supportant pas que l'on puisse ainsi contrôler leur vie. Les quelques mages restant jurèrent fidélité à la couronne.

Les enchanteurs monarques étaient des êtres bien trop prétentieux au goût de la princesse. Elle ne supportait pas leur existence. Selon elle, ils n'étaient que de piètres lanceurs d'étincelles. Des êtres assez lâches pour préférer sacrifier leur qualité extraordinaire et être esclaves de la monarchie, en échange d'un titre et d'un uniforme. Peut-être était-ce là l'expression d'un sentiment d'envie, maladroitement dissimulé sous des airs arrogants? Quoiqu'il en soit, masquer son amertume était un effort qui ne plaisait pas particulièrement à Ana.

- Remettriez-vous en question l'éducation que j'ai reçue? articula-t-elle lentement en toisant Alastair.

- Ce n'est pas ce que j'ai suggéré, répondit-il.

La princesse ferma les yeux et se massa les tempes du bout des doigts. La conversation qu'elle tenait avec le mage était inutile. Lui, ne cesserait de lui faire des reproches; elle, tenterait tant bien que mal de ne pas trahir sa colère. Il fallait qu'elle y mette un terme.

- Très bien. Vous pouvez disposer, annonça-t-elle d'une voix presque inaudible.

- Nous n'avons pas terminé de parler.

- Oh, ce n'est pas une proposition, rétorqua la souveraine, agacée. C'est un ordre.

Alastair resta immobile. Son torse se soulevait à vue d'oeil et malgré tous les efforts qu'il fournissait pour contenir son irritation, plusieurs tics nerveux le trahissaient. Ana soupira. Elle se redressa, et s'approcha du mage. Ce dernier garda son regard rivé sur elle.