36 blacklights

Fragment trois.

Neilina s'insulta intérieurement pendant toute la durée du trajet. Elle ne vivait plus chez ses parents, désormais. Elle avait son propre studio du côté d'Essex, situé à une dizaine de minutes à pied de son école d'art et elle ne dormait chez ses parents qu'occasionnellement. Elle passait la moitié de ses jours de congé dans le domicile familial et exceptionnellement ce soir, elle y passerait la nuit pour tenir compagnie à sa petite soeur qui se sentirait sans doute au plus mal après une telle journée. Neilina laisserait Aileen dormir dans son lit et lui chantonnerait quelques mélodies pour qu'elle trouve rapidement le sommeil. Mais en attendant, la jolie blonde se trouvait en compagnie de Harry dans sa vieille Clio qui devait changer du luxe auquel était habitué le brun. Une odeur de vanille et de tabac froid avaient imbibés le tissus des sièges de l'auto et elle aurait bien eu besoin d'être nettoyée et rangée. De nombreuses places de concerts et autres festivals jonchaient sur le sol de la place passager sans compter le plan du pays ou encore, des magasines de rock et de tatouages. On pouvait même voir de nombreux livres de cours sur le tableau de bord et à l'arrière, une boîte remplie de CD en tout genre ne demandait qu'à être écoutés. Malgré tout, Harry ne fit pas la moindre remarque. Il avait reconnu certains groupes sur les places de concert et il avait été même surpris de constater qu'il avait été aux mêmes festivals que Neilina. Le même jour. Ils s'étaient peut-être même croisés et n'avaient pas fait attention l'un à l'autre. Lui, trop occupé à essayer de fuir les paparazzis et les fanatiques. Elle, trop occupée à savourer pleinement sa jeunesse et la présence de son groupe d'amis qui la suivait où qu'elle aille. Harry avait vu la boite pleine de disques posée à l'arrière mais il n'avait pas osé demander à la blonde l'autorisation d'y jeter un coup d'oeil. Il se sentait déjà gêné d'être ici et sans cesse, il se demandait pourquoi il avait accepté son invitation. Sûrement parce que ses vêtements étaient trempés. Ou peut-être parce qu'il espérait secrètement que Neilina ait du chocolat chaud et des chamallows. Le brun tapa sa main sur sa cuisse en rythme avec la musique qui était diffusée dans les airs. Fluorescent Adolescent. Pas sa préférée ni la meilleure du groupe, à son goût, mais ça restait une chanson qu'il aimait. Et le rythme léger de la chanson lui permettait de ne pas trop penser au fait qu'il allait se rendre chez une totale inconnue nommée Neilina qui était elle aussi tatouée.

- Tu connais ? Demanda la blonde, peu sur d'elle.

"Arctic Monkeys, c'est la base du rock moderne", songea-t-elle mais elle savait aussi que rares étaient les personnes qui adhéraient avec ses goûts musicaux. Elle pouvait très bien écouter Oasis à fond en reprenant le refrain deWonderwall et l'instant d'après, se mettre à chanter à tue-tête les textes d'Eminem. Cela avait le don d'exaspérer son père mais ça, elle s'en fichait. Neilina était aussi très fétichiste. A chaque dessin qu'elle entreprenait, elle avait une série de rituels. Tout d'abord, elle se lavait minutieusement les mains et installait l'ensemble de son matériel devant une fenêtre. Ensuite, elle glissait un disque sur son trente-trois tours. Genesis, I can't dance. Neilina n'avait jamais su pourquoi mais cette chanson l'inspirait plus que les autres. Elle dressait un chignon qu'elle enroulait à l'aide d'un crayon de couleur rouge et s'allumait une cigarette qu'elle ne finissait jamais. Et enfin, elle pouvait dessiner.

- Ouais, répondit Harry en haussant les épaules. Tout le monde connait Arctic Monkeys, tu sais.

- Pas faux. Prend la boite métallique sur la plage arrière, s'tu veux. Tu n'y trouveras que de la vraie bonne musique.

- Comme ?

- Regarde.

Harry ne se fit pas prier et s'empara de la boite qui regorgeait de perle musicale, comme elle le lui avait assuré. Tout y était. De Supertramp à AC/DC en passant par les Beatles, les Stones, Scorpion. Les bases, les légendes. Le brun parcourut chaque CD des yeux et ne sut lequel choisir. Neilina s'était arrêtée au feu rouge et jeta un coup d'oeil aux mains de Harry qui hésitaient entre deux albums. Elle lâcha un soupir et prit le disque d'Elton John. Rocket Man. Elle rangea celui d'Arctic Monkeys dans son boitier et mit celui d'Elton John à la place. Elle connaissait chaque morceau de la liste par coeur et appuya immédiatement sur le sept. Et déjà, les premières notes au piano retentissaient dans l'habitacle. Your song. Harry eut un rictus amusé en repensant au jour où il l'avait chanté sur scène, pendant son aventure à x factor. 

- Et si j'avais envie d'écouter Aerosmith ? Lança le brun, tel un gamin qui faisait un caprice.

- Mon père a tous les disques à la maison, si tu tiens à tout prix à les écouter. Personnellement, je préfère écouter les classiques sur un quarante-cinq tours plutôt que sur l'autoradio d'une caisse pourrie. Mais chacun son avis, dit-elle en haussant les épaules. Tu ne dois pas tellement t'y connaitre en musique vu ce que tu chantes avec tes copains.

Neilina voulait s'amuser, elle se plaisait à lancer des piques au brun qui n'arrivait toujours pas à se défendre. La blonde savait que Harry avait une culture musicale qui ressemblait sans doute plus à la sienne composée essentiellement de rock qu'à celle d'une gamine de douze ans qui devait se résumer aux boysband et autres stars de Disney. Elle avait vu son tee-shirt des Ramones sous son manteau et son pull Jack Wills et elle savait que, lors de ses jours de repos, Harry ne suivait pas les conseils des stylistes. Il avait volontairement acheté un tee-shirt du groupe et devait donc un minimum les connaitre. Neilina passa la seconde et mit son clignotant. Elle gara sa voiture sur le bord de la route et regarda la bâtisse qui se trouvait à sa gauche. Harry arrêta de regarder les CD et fit de même.

- C'est là que t'habites ?

- Non, c'est là qu'habitent mes parents, expliqua Neilina. J'ai mon propre appart depuis presque trois ans, maintenant. C'est plus simple pour mes cours.

- Mais... Il fronça les sourcils, pas sûr de comprendre la situation actuelle de la blonde : Tu vas encore en cours ?

- Ouais, école d'art du côté d'Essex. C'est ma dernière année, en fait. J'ai vingt-deux ans.

Neilina vit le visage du brun se décomposer et ne put s'empêcher de sourire avant de quitter sa Clio. Harry resta bouche bée. Il la croyait plus âgée, en fait. Vingt-cinq ans. Peut-être vingt-six. Son arrogance se justifiait maintenant par son âge et ses études. Elle était nettement supérieure à lui. Etudiante en art à Essex, passionnée par la bonne musique composée essentiellement de vieux groupe de rock, enchaînant les manifestations musicales et passant la majeure partie de son temps avec sa bande d'amis (il avait pu voir diverses photos dans la boite qui contenait ses CD). Lui, ce n'était qu'un gamin de dix-huit ans qui vivait son rêve depuis deux ans et demi. Un rêve qui ne le passionnait plus autant qu'avant, un rêve qui lui semblait sans intérêt maintenant. Il avait l'impression d'être passé à côté de sa vie et avec Neilina, c'était encore pire. Elle lui prouvait qu'on pouvait être bien dans sa vie sans avoir besoin de la notoriété.

- Bouge, bouclettes, lui cria la blonde. Il pleut toujours, je te rappelle !

Six heures. C'était à peu près le temps qu'il avait devant lui pour apprendre à connaitre Neilina, qu'elle le laisse changer sa journée et peut-être même sa vie. Six heures ensemble, c'était tout ce qu'ils avaient. Et avec ces trois-cents soixante heures, Harry devait faire ses preuves, montrer qu'il était plus qu'une tête bouclée qui chantait des chansons commerciales pour engraisser une maison de disques. Et en quittant la voiture de Neilina, Harry se répéta une phrase : "Je suis Harry Styles, j'ai dix-huit ans et cette rencontre peut changer ma vie"... Il ne croyait pas si bien dire.