t r o i s ✝

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R O B B I E

Je gratte le bout de l'allumette avec désinvolture pour qu'elle prenne feu. J'observe pendant quelques secondes la flamme consumer le bois léger de l'allumette, et puis je me décide à l'amener à ma cigarette et à l'allumer. Enfin un peu de répit. Les deux derniers jours ont été mouvementés, des deux côtés. Le gaz que nous ont lancé ces satanés Frizt  a fait une dizaine de morts. Jonathan est à l'infirmerie, parce qu'il y en inhalé un peu avant de pouvoir mettre son masque. J'ai bien cru que j'allais le perdre, ça m'a refroidi. Je me sens un peu nauséeux d'ailleurs. Je me demande si j'ai pas attrapé un truc. Ça m'étonnerait pas. L'hygiène, c'est inexistant en temps de guerre, je crois même que j'ai encore de la boue de l'autre jour coincée sous le menton. Les bains, c'est beau, c'est agréable, mais quand tu as le temps. Pas en temps de guerre.

Pas en temps de guerre.

Pas en temps de guerre.

Y'a pas de temps, pendant, la guerre. Voilà, t'as le temps de rien faire. A part te faire tuer. Même tuer quelqu'un d'autre, en soit, pas le temps.

Je voudrais plus de temps.

Depuis l'autre soir, quelque chose me gratte. Je crois que ce sont mes vêtements. J'ai finalement été infesté par ces satanés puces. Mais on a pas le temps non plus de faire de lessive. Je remonte le col de ma veste en feutre sur mes joues. Il commence à faire nuit, et bien que la fraicheur évacue un peu l'humidité de l'air, je n'ai pas envie d'attraper une maladie trop grave. L'autre jour, j'ai vu un gamin du régiment cracher du sang. Un virus doit trainer dans la tranchée. J'y ai longtemps réfléchi. Attraper une maladie et rentrer à la maison. Mais étant donné le taux d'hygiène présent, je donnerai ma main à couper qu'il ne vaut mieux pas se laisser contaminer par les microbes qui trainent par ici.

Je sors mon calepin en cuir, dans lequel je garde mon papier à lettres. Les restes d'un brouillon résident sur la première page. Je laisse retomber ma tête en arrière, et elle vient rencontrer la barricade en bois sur laquelle je suis accoudé. Il n'y a pas d'étoiles dans le ciel, ce soir non plus. J'ai toujours vu les étoiles comme l'espoir, l'espoir qu'un autre monde vive au delà du nôtre. Mon père m'a rapidement ramené les pieds sur Terre, mais cette impression d'infinité ne m'a jamais quitté lorsque je les vois briller dans le ciel.

- Vous... Vous écrivez à v... votre fiancée, s... sir ?

Je prends le temps d'inspirer longuement avant de me tourner vers le gamin qui me parle. C'est celui que j'ai rencontré deux nuits plus tôt, dans le no man's land. Il doit croire que nous avons fait ami-ami depuis. Lorsque Jonathan était avec moi, je n'osais pas lui signifier qu'il se méprenait, mais alors que je suis seul ce soir, je ne pense pas le tolérer plus de deux minutes. Bien que je ne sois pas quelqu'un de solitaire en temps normal, c'est un principe que j'entretiens avec joie, ici. Jonathan excepté.

- Non.

Le gamin hoche la tête, pensif. Il n'est pas bien grand, et surtout, il est très jeune. Il doit à peine avoir l'âge minimum pour s'engager. Je me demande pourquoi est-il ici. A-t-il aussi été réquisitionné comme moi, parce qu'il était au mauvais endroit, au mauvais moment ? Ou s'est-il enrôlé par altruisme ? Je plisse les yeux pour distinguer dans la pénombre qui gagne peu à peu la tranchée, le morceau de tissu brodé à sa veste, où il est écrit son nom. Mais je n'arrive pas, et je n'ai pas la force de faire plus d'effort pour lui.

World War ZombiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant