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E D D A

Le médecin Enrik passe sa main poisseuse sur son visage, dans un geste las et empli de fatigue. Son unique œil est habité par des dizaines de petits vaisseaux rouges qui semblent sur le point d'éclater. L'emplacement de son œil droit ne laisse la place à rien d'autre que du vide, et qu'un trou dans son crâne, mais le tout a été recouvert par un bandage. Et c'est peut-être mieux ainsi, parce que la vue de la chair à vif les premiers jours n'a fait que perturber les patients, tout comme mes collègues infirmières. Parfois, je distingue la peau autour de son bandage se tendre, et je suppose que la douleur ne le fait grimacer. Mais le Docteur Enrik est toujours là, debout, à opérer les blessés.

Alors que j'essuie la sueur sur le front du patient, et que je vérifie que sa température n'a rien d'inquiétante, le Docteur Enrik dépose le torchon imbibé de sang dans le panier à côté de lui et l'Infirmière en Chef Felberg s'occupe de recoudre la plaie béante dans le cou du blessé de ses doigts d'expertes. Lorsque je suis partie de ma petite maison en campagne Berlinoise, je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. Malgré les maigres moyens de mes parents et mon niveau sociale peu élevé, j'ai eu le droit à une éducation plus approfondie que n'importe laquelle de mes voisines. J'ai appris le Français, ainsi que l'Anglais, la géographie et toute l'histoire de l'évolution de l'Europe, j'ai même quelques notions de latin. Ma mère souhaitait me voir aller en ville, afin de trouver ce qui, pour elle, était le poste le plus respectable qu'une femme pourrait avoir, secrétaire. Mon père, quant à lui, souhaitait me voir mariée, et heureuse. Moi, je ne voyais rien.

Jusqu'à la guerre.

Pendant la formation pour devenir infirmière, on nous apprend les bases, les soins, le nom des médicaments, à reconnaître les maladies et les blessures. Mais, si certaines infirmières s'imaginent tout cet apprentissage comme lourd et complet, bien que rébarbatif également, c'est bien loin d'en être le cas, je l'ai vu comme l'ouverture des portes de mon avenir. Tous les soirs, je lisais tous les livres qui me tombaient sous la main, j'ai appris bien plus sur moi pendant cette semaine d'apprentissage que pendant les vingts autres années de ma vie.

Je récupère les ustensiles qui ont servi pendant l'opération, et, les transportant dans une gamelle en métal, je sors de l'infirmerie. Dehors, le ciel est gris à tel point que je suis incapable de distinguer les rayons du soleil parmi cette veste étendue nuageuse. Il semblerait que même lui ait décidé de nous abandonner. Parmi les discussions, aujourd'hui, il n'y a que deux sujets. La trêve et les démons. Certains sont persuadés que la Nature a décidé de nous éradiquer et qu'elle a envoyé ces monstres de boue et de chair humaine, pour nous rappeler que nous sommes notre propre perte. D'autres imaginent déjà que c'est la faute aux ennemis, qui ont amené la mort et la désolation. Personne ne leur rappelle que c'est nous qui envahissons leurs terres. Certains, comme Irène Felberg, sont persuadés que la trêve est sans aucun doute la meilleure chose qui puisse nous arriver et elle demande à chacun d'entre nous d'en respecter les termes avec parcimonie. D'autres n'y voit qu'une perte de temps. J'y vois seulement un temps léger, sans bombardement, sans balles qui sifflent, sans cris. J'y vois le temps de guérir certaines blessures. Mais je dois avouer que j'espère aussi qu'elle dure plus longtemps. Car, alors que l'aube a percé depuis déjà quelques heures, force est de constater que les trente-cinq heures qui restent de trêve vont s'écouler très vite.

Je m'accroupis près d'un tas de bois sur lequel a été suspendu une bassine en métal, qui est remplie d'eau. Je place quelques papiers journaux au milieu des bûches de bois, tout en allant chercher du petit bois afin que le feu s'allume facilement. Je déterre une boîte d'allumettes à moitié ensevelie sous la boue, et j'en fais craquer une, que je dépose dans le feu en faisant attention. Rapidement, le papier journal s'enflamme et consume peu à peu le petit bois, jusqu'à ce que soit les bûches elles-mêmes qui soient attaquées par les flammes. Accroupie dans la boue, ma jupe légèrement relevée afin de ne pas trainer dans cette terre visqueuse, j'observe, presque hypnotisée, la danse macabre que m'offrent les flammes. Au bout de plusieurs minutes, je passe ma main sur mon front afin d'essuyer les gouttes de sueur qui y perlent, remarquant que je tiens mon visage peut-être trop près du feu. Je remarque que l'eau a commencé à bouillir, alors je ramène vers moi les ustensiles salis par le sang, le pue, la chair noircie. Un à un, les tenant avec une pince, je les trempe dans l'eau bouillante jusqu'à ce qu'ils soient totalement stérilisés et utilisables à nouveau.

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