q u a t r e ✝

200 32 24
                                    

E D D A

L'aube pointe à peine par l'Est, mais les premiers rayons de soleil, aussi beaux soient-ils, ne suffisent pas à effacer les horreurs de cette nuit. Je tiens à peine debout, je sens la peau tirer les traits de mon visage à cause de la fatigue, mes yeux me piquent et j'ai la gorge nouée, et pourtant, je ne veux pas fermer les yeux, je ne veux pas m'endormir, je ne veux pas aller m'allonger. Il y a encore beaucoup de personnes qui ont besoin de mon aide, et j'ai trop peur de fermer les yeux et d'être envahie par des cauchemars. Parce que le démon existe bel et bien, et il a attaqué cette nuit.

Les mains tremblantes, j'éponge le sang qui coule à flot du bras coupé que j'ai sous les yeux. Le Soldat, qui, par chance, est encore vivant, se voit cependant amputé de son bras droit, et ce à partir de l'extrémité de l'épaule. La chaire a été découpée à la scie, et c'est une véritable boucherie, il n'y a pas d'autre mot pour illustrer ce travail. En soit, je ne reproche rien au médecin qui a opéré ce patient, lui-même est blessé depuis un bombardement provenu la semaine dernière, et malgré le fait qu'il ait perdu un œil, il est toujours debout, à essayer de sauver la vie d'autres hommes. Mais j'ai peur que mon dégoût soit visible sur mon visage, et je ne veux en aucun cas donner cette image de moi au blessé. L'os a été sectionné, mais cela n'est pas de notre œuvre, et plus perturbant encore, ce n'est pas l'œuvre des Anglais ou des Français. Les points de sutures apparents suintent sur la chair blessée, et les cris de l'homme ne sont plus qu'un murmure depuis plusieurs heures.

Le nombre de blessés a doublé cette nuit. Et le nombre de morts également. C'est peut-être normal si on en croit les rumeurs, comme quoi nos attaquants de cette nuit ne mourraient pas, mais se relevaient sans cesse. J'entendais les cris, le sifflement des balles et les tirs des canons. L'infirmerie a été envahie de corps ensanglantés, de râles de souffrance, de pleurs, en une heure à peine. Nous avons été débordée comme jamais, les infirmières qui dormaient ont été réveillées, et les blessures se sont succédées les une aux autres, autant dans l'horreur que dans la crainte de ne pouvoir les soigner. Cela fait à peine moins d'une demie-heure que le flot de blessés a cessé d'être aussi intense. J'éponge mon front baigné de sueur avec le dos de mon poignet, sachant pertinemment que j'étale le sang des blessés sur tout mon corps. Les plaintes des blessés me parviennent comme un bruit de fond tellement je me suis habituée à leur râle inlassable. J'aimerais pouvoir soulager les cœurs et les souffrances de tous ces hommes, mais je sais que certains d'entre eux ne s'en sortiront pas. Le Capitaine Bergman, qui est arrivé à l'infirmerie il y a quelques heures, a la moitié de la peau du visage arrachée, jamais je n'avais distingué aussi bien un crâne humain. Ses yeux sortaient de ses orbites, j'ai dû les remettre moi-même en place. Cet homme ne survivra pas.

Un frisson me parcourt toute entière alors que je finis d'éponger le sang de l'homme au bras amputé. Son visage crasseux et où les larmes ont tracé un chemin silencieux sur ses joues, s'éteint petit à petit. Je vérifie qu'il respire encore, et je me fais promettre de venir le surveiller toutes les heures. Son corps entier est recouvert de boue, elle est si épaisse que je distingue difficilement les traits de son visage, et même la couleur de ses vêtements. Je pourrais aussi essayer de le laver dès que j'aurai un peu de temps.

J'apporte mon chiffon imbibé de sang jusqu'au panier de linge sale, à l'entrée de l'infirmerie. Ce n'est qu'un amas de tissus rouges, draps, serviettes, chiffons, torchons, éponges, et tout cela n'est synonyme de rien d'autre que de souffrance. Le panier déborde, témoignant du bang de sang que nous avons affronté. Je baisse les yeux sur ma robe, d'origine blanche, il n'en reste plus rien, le bas est recouvert par la boue qui entoure l'infirmerie, le haut par le sang et la crasse des hommes. Je me sens soudainement vidée. Je n'ai pas dormi depuis plus de vingt quatre heures, et j'ai vu plus d'hommes mourir sous mes yeux ces dernières heures que tous les jours réunis depuis que je suis devenue infirmière du guerre. Les hommes avaient peut-être raison, un démon nous est tombé dessus. Pourquoi nous punir plus que nous ne le faisions nous-même ? C'est sûrement un signe, nous devons arrêter le massacre, c'est notre dernière chance avant que les Cieux ne nous fassent disparaitre, estimant sûrement que nous ne méritons pas cette Terre si nous nous entretuons.

World War ZombiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant